Árpád Tóth

ÉLÉGIE À UN BUISSON DE GENÊT

Sur le dos étendu dans la montagne herbeuse,
Je vois pencher vers moi le genêt doux et fin.
De sa parure d'or les corolles nombreuses
Sont autant de menus canots aériens;
Je les regarde comme un géant débonnaire,
Mais si ma bouche exhale un soupir de mon cśur,
C'est pour eux l'ouragan, ses subites colères:
Toute la flotte d'or en tremble de terreur…

Vous qui voguez de par l'été, joyeux navires,
Dans l'air tranquille et bleu de cet après-midi,
Si parfois vous effraie le géant qui soupire,
Il est si sombre et malheureux, pardonnez-lui!
Pardonnez-lui, c'est le grisou de la souffrance
Qui des puits mornes de son âme monte ainsi.
Vous ne pouvez savoir quelles mines immenses
De misère et de nuit ce monstre cache en lui.

L'air vous berce sans bruit; l'argent frais de l'averse,
L'or bouillant du soleil coulent dans votre cśur
Sans qu'il lui soit besoin de savoir qui lui verse
Ces douces cargaisons de nectar et d'odeurs.
La rosée vous fait don de ses coûteuses perles,
Nous n'errez pas, quêtant d'illusoires trésors.
Capitaine têtu, l'esprit ne vous harcèle
Pour que des vains désirs découvriez le port.

Moi-même je ne suis qu'un vaisseau. ma membrure
Ainsi que les martyrs est rivée de boulons;
Le pilote me lance en folles aventures
Sans me laisser bercer mon mal aux golfes blonds,
Alors que l'aimant doux de la montagne astrale
Vers l'au-delà tire mes clous très lentement,
Et qu'aux récifs, épave nue qui roule et râle,
J'aspire à me pulvériser dans le néant.

Et les autres, les hommes frères? Pauvres barques
Qui courent ballottés vers de viles conquêtes
Emportés par leur voile inique ou par les vagues
Tous orphelins plaintifs et pirates, qu'on jette
Dans le sang et les pleurs du moderne déluge.
Que notre sort est triste, hommes, pauvres vaisseaux!
Nul pur comme Noé ne trouvera refuge,
S ur un autre Ararat. Périr est notre lot.

Oui, nous périrons tous, peut-être, et sur la terre
Ne surnageront que les doux esquifs des fleurs,
L'arc-en-ciel unira l'herbe à la nue altière,
Une fête muette élira ce bonheur:
L'homme n'est plus! Alors la matière ancestrale
Gémira épuisée – C'est la fin du tourment –
Et d'un lotus, ouvrant la lèvre virginale,
La paix au vol de neige essorera gaiement.

(Jean Rousselot)

 
  © All rights belong to the authors or their heirs. 2004.
2005.04.24. óta: 1