Lajos Kassák

LE CHEVAL MEURT ET LES OISEAUX S'ENVOLENT

(Fragments)

Vint l'instant où le temps hennit ou plutôt il ouvrit ses ailes
Comme un perroquet éclatant bref une porte rouge s'ouvrit à deux battants
sur ma maîtresse au blanc visage incrusté de diamants noirs
et qui avec son désespoir traînait près d'elle trois enfants
tous les deux nous étions assis à l'ombre des cheminées d'usine
et nous savions que dès le lendemain des lignes courbes
la tangente ô la tangente
elle s'écria toi tu pars mon petit Kassák
moi je reste à me dessécher
sur les tréteaux où je déclame et sur les croûtes du sieur Nadler
sans doute
ah sans doute
le Bon Dieu oublie vraiment les jolies femmes
déja arrivait le sculpteur sur bois semi-christique
il était jeune et résolu il empestait la vérité
demain sous aurons franchi les frontières de la Hongrie
eh oui ah certes
sans doute sans doute
la ville trottait près de nous
elle se tourna se retourna parfois se cabra
j'évoquai le chapeau de paille que mon père mettait de travers
au-dessus de la vitre opaque de la pharmacie
jusqu'à la statue de la Trinité il nageait en faisant l'aller et retour
le vieux s'imaginait jadis qu'arrivé à vingt-et-un ans
je deviendrais chapelain
dans la paroisse d'Érsekújvár
cependant dix ans avant d'avoir atteint cet âge
j'avalais déja de la fumée à la serrurerie Sporni
dès lors le vieux ne rentra plus que rarement à la maison
il but mon avenir si bien édifié et avec la bière évacuée ensuite
s'éprit soudan d'une vieille femme de ménage
il perdit ses derniers cheveux ne fréquenta que des tziganes
25 avril 1909
je me préparais à filer vers Paris à pied escorté du sculpteur sur bois
la petite ville croupissait dans sa mare en jouant de l'harmonica
j'écarterai de toi mes ailes protectrices ô Saint Christophe jamais plus tu ne seras le fils de ton père
l'ivrogne larmoyait toujours versant des pleurs de crocodile
moi, je m'appuyais contre le mur du «Lion d'Or»
et j'avais l'impression que tout était raté
deux rails rouges et parallèles me clouaient là
les cloches sonnaient dans leurs tours
les pigeons faisaient au-dessus des toits des sauts périlleux
ou plus exactement dansaient sur le carrosse du soleil
le nouveau carillon du couvent franciscain semblait presque chanter
qui se prépare à dormir n'a qu'à fourbir ses barres de plomb
les heures venaient nous hanter grimpées sur de grands bergers blancs
et j'avais l'impression que tout était raté
les marchands d'eau-de-vie et les merciers avaient déjà clos leurs volets
tu n'as qu'a retourner jouer avec les enfants mon petit ami
jamais les roues ne nous ont ramené en arrière
l'on perd ses dents de poulain et l'on regarde le néant
où la vie se mord la queue
le néant
ô djiramari
ô lebli
ô BOum BOum

* * *

PARIS ô PARIS que de beaux garçons s'y sont tués
et Dieu sait pourquoi
PARIS jamais je n'oublierai sa voix
elle pleurait déjà dans le sifflet des douaniers
elle riait d'un rire aigu dans les sirènes électriques
ris donc imbécile
ne vois-tu pas que tu es installé dans le nid doré de la vie
c'est maintenant PARIS qui nous berce dit S…
oubliant ingénuement sa chaude-pisse
en trayant les étoiles il en est déjà sorti du sang d'ange
comparé à ce breuvage le lait de ma mère n'est qu'eau de Seltz
attache donc tes ailes
demain nous irons à la GRISETTE
demain boulevard des Italiens nous mangerons des huîtres
puis nous irons voir les oiseaux électriques
demain nous passerons par les Tuileries
et le «Bar des Etoiles»
eh oui
oui bien sûr
j'étais triste profondément et sentais sur mes pieds
souffrants
les ongles pousser aux orteils
oh là là hélas
hélas
les miracles pour moi surgissent déjà barbus et décrépits
2 X 2 = 4
partout s'ouvrent enflammés des buissons ardents
mais les chevaux modernes ont de l'acier pour dents
et celui qui part le matin sait-on s'il reviendra le soir
les plus heureux seraient ceux-là qui pourraient retourner leur peau
car qui se sent capable de regarder plus loin que lui-même
ce qui est posé reste posé
mais ce que nous posons nous-mêmes ne peut rien résoudre
les fleuves se brisent presque quand ils veulent se hâter
ces messieurs ne savent pas sautiller comme des moineaux
et nous avons la certitude que l'épouse quitte sa moitié
dans le miroir de M. Goldmann les singes ont contemplé leur derrière
et ils ont semblé parfaitement heureux
oui peut-être si je savais jouer aux échecs
mais je ne connais rien à fond
les cuisses du porc abattu tournaient dans le manège de la vitrine
moi j'ai vu PARIS et je n'ai rien vu
ma maîtresse m'attendait enceinte à la petite gare d'Angyalföld
quant à ma mère la pauvreté lui avait fait une figure de citron
devant elles deux j'aurais voulu rire mais je me sentais honteux
de porter deux pantalons et point de caleçon par-dessous
deux solutions pour le poète
édifier une śuvre où il se reconnaisse
ou se faire carrément ramasseur de mégots
soit
eh bien soit
les oiseaux ont avalé leur voix
mais les grands arbres eux continuent à chanter
et tout cela peut-être sent déja la vieillesse
mais qu'importe
je suis LAJOS KASSÁK
et par-dessus nos têtes le samovar de nickel s'envole

(Anne-Marie de Backer)

 
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2005.04.24. óta: 1