Mihály Babits

PRIÈRE À SAINT BLAISE

Aide-moi, je t'en prie, aide-moi donc, saint Blaise!
Jadis en ma lointaine enfance
de deux cierges en croix fut orné mon cou frêle:
j'y fixais parfois mon regard
comme un faon pris de peur guette à travers deux branches.
L'hiver au jour de la Saint-Blaise
j'écarquillais les yeux devant ce très vieux prêtre
qui t'implorait penché sur moi
tandis qu'agenouillé je priais en latin
tel que le veut le saint usage
mais sans être du sens comme lui bien certain.
Cependant à ce pieux hommage
tu restais attentif et de mon jeune corps
écartais le croup étouffant
et ce funeste feu qui prend aux amygdales.
Un demi-siècle de la sorte
ma vie s'est écoulée exempte d'inquiétude
mais combien peu tournée vers toi.
Ne me tiens pas rigueur de tant d'ingratitude,
saint évêque de Sébasta.
Veille encore sur moi. Nous vivons sottement
sans regarder derrière nous.
Esprits supérieurs, nous vous lâchons la main
sur notre route trépidante
et vous, tout souriant, aux enfants que nous sommes,
vous acceptez notre dédain,
sûrs que désespérés nous reviendrons vers vous.
Ainsi donc je reviens à toi,
tremblant de comparaître. Ah! ris de moi, saint Blaise,
de moi le gamin plein de peur
qui s'agenouille au pied de ton naïf autel!
Ris de moi mais me viens en aide
car me voici la proie d'un implacable mal.
Il me déchiquette la gorge,
rétrécit mon larynx et fait que, manquant d'air,
on dirait bien que j'escalade
une montagne ou que je ploie sous une charge
tant je halète et je suffoque.
Je ne vis aujourd'hui que dans l'essoufflement.
Les chirurgiens tiennent colloque
autour de cette gorge où pendait autrefois
la croix formée de tes deux cierges.
Ah! va-t-on l'inciser? Blaise, Blaise, aide-moi!
Les couteaux des cruels païens
mortellement, un jour, ont tailladé la tienne.
Tu sais le prix de cette fin,
tu sais celui du sang dont se tache une lame
et ces minutes effroyables
où, le larynx ouvert, farouchement on lutte
conte le poids qui vous accable.
Puisque de tout cela rien ne t'est étranger,
viens à mon aide, ô sage adulte!
Tu connais les sommets de l'endurance humaine,
Dieu ne les trouve pas très hauts
si bon puisse-t-il être, et sans doute sais-tu
que la mort même est peu de chose.

(Paul Chaulot)

 
  © All rights belong to the authors or their heirs. 2004.
2005.04.24. óta: 1