Sándor Weöres

LE PÉRISTYLE DES DENTS

Salle de marbre rouge, ta bouche
Colonnes de marbre blanc, tes dents
Tapis pourpre que tu foules, ta langue:
C'est le péristyle des dents où tu viens d'entrer.

Par quelque fenêtre du temps que tu te penches
Regarde: toujours Dieu change de visage.
Au temps du merle et du roseau
Dieu se fait caressant,
Au temps de Moïse et d'Elie
Dieu marchande tant et plus;
Penche-toi sur le temps de la Croix
La face de Dieu saigne, voile de Véronique,
Penche-toi hors de ton propre temps
Dieu chenu courbe le front sur le grand Livre.

Comme Pierre crucifié la tête en bas,
L'homme pend cheveux au vent dans le bleu du ciel
La terre claque sur ses semelles
Celui qui l'aperçoit
Ne peut détacher de lui ses yeux d'insomnie.

Tel l'enfant privé de sucre
A la crotte de bique trouve un goût de bonbon,
Chaque motte de terre: une étoile obscure
Chaque insecte: un chérubin sans ailes.

Descends-tu aux enfers: au plus profond
Tu rejoindras le ciel, car tout tourne et retourne en rond.
L'homme construit des routes confortables
Le fauve se fraye un chemin dans la forêt
Mais vois l'arbre: frondaison et racines
Les quatre points cardinaux ensemble concertés.
C'est le chemin de partout!

Passé les deux dernières colonnes de splendeur,
Ta chevelure frôle une coupole: l'infini,
Et que te fasse défaillir un malstrom de pétales de roses
Tu as sous toi pour couche nuptiale le monde entier.
Là tu peux clamer:
«Je ne crois pas en Toi, mon Dieu!»
Sourire alors de l'ouragan de roses:
«Mais moi je crois en toi: cela te suffit-il?»

(Luc Estangs)

 
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2005.04.24. óta: 1