Lőrinc Szabó

TOUT POUR RIEN

C'est affreux, mais qu'y puis-je, moi?
Si tu décides
De m'aimer – c'est ainsi – tu dois
Exister comme on se suicide.
Peu m'importent les lois, les gens
Qui veulent être de leur temps!
Quand rentre en son âme l'esclave,
Il en est roi.
Mon bonheur à moi, seules savent
Le définir mes propres lois.

Tu ne m'appartiens ni ne m'aimes,
Si tu es Toi!
Tant qu'en échange de toi-même
Tu me veux, je subis ton poids.
Même sacré, contrat oblige!
Moi c'est tout pour rien que j'exige!
Le reste est un duel ténébreux
Entre égoïsmes.
Dans le cours de mon sort, je veux
Que tu ne soies qu'un mécanisme.

J'ai peur de tous et je suis las,
Malade, exsangue.
Oh! mon désir est toujours là!
C'est plutôt la foi qui me manque.
Pour qu'en moi ne subsiste aucun
Soupçon hideux, un seul moyen:
Sois ma servante (et davantage:
Humilie-toi!)
Mais heureuse de ton servage
Et de fuir le monde pour moi.

Tant que tu prétends à ta guise
Vivre un instant,
Penser à toi, être reprise
Par ton existence d'avant,
Tant que tu n'es pas une chose
Morte et sans pouvoir sur les causes,
Tu es femme dans le troupeau:
Tu pourrais être
Une étrangère, et de ma peau
Et de mon cśur ne rien connaitre.

D'un prochain gardé par la loi
Qui le concède,
Que faire? Je veux que tu sois
Hors la loi, bête qu'on possède,
Lampe qu'on règle… A mon gré, meurs!
Je veux que tu n'aies mots ni pleurs,
Et ce cachot qui t'emprisonne,
Que tu l'oublies.
Je ferai que tu me pardonnes
Sois-en sûre, ma tyrannie.

(Jean Rousselot)

 
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2005.04.24. óta: 1