Dezső Kosztolányi

Chant sur le Néant

Ce qu'aujourd'hui je tiens, je sais m'en dessaisir,
Ce qu'aujourd'hui je sais, je le laisse s'enfuir.
Je demande à mes mains de cacher mon visage.
Parmi le vide obscur, je m'étends à loisir
Dans le champ magnétique a si profond ancrage.

Plus vieux que le réel m'apparaît le Néant.
Il m'est plus familier… oui, plus proche, vraiment,
Ne peut être mauvais. Car plus faible est la vie.
Elle est aussi plus brève. Elle est à tout instant
La plaie ensanglantée. On en voit la sanie.

Ce piètre accoutrement est toute nouveauté,
Fort étriqué, noueux. Il vaut pour un été.
Trop pitoyable habit que l'śil en pleur inonde.
Plus confortable sera l'ancien, plus fêté,
L'indifférent, l'infini, le plus ample au monde.

Depuis l'aube des temps, on peut sur moi le voir,
Moi, j'ai croulé, sans m'amender et sans déchoir,
Dans les plis du Néant. Pour tous, la chose est claire:
Depuis toujours, nous possédons l'art, un beau soir,
De partir, de rester couché, mort, sous la terre.

Si tu trembles de peur, appelle l'au-delà,
Va frapper la tombe muette des morts, va!
Recherche le secret de leur profond mutisme.
Mais ils ne disent rien si ce n'est ces mots-là:
«Supporte tout, comme nous, avec héroïsme.»

Chante, cher camarade, oui, chantons tous les deux.
Souffrions-nous jadis? N'étions-nous pas heureux?
De quoi saignait ton cśur lorsque de cette terre
Nous n'avions pas foulé le pauvre sol poudreux…
Sous César, sous Napoléon? Dis-le moi, frère.

(Jean-Paul Faucher)

 
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2005.04.24. óta: 1