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Document Kairos pour l’Europe



Pour une Europe centrée sur le social, la vie et la démocratie




Appel

à la société civile
en vue de former une coalition
pour se libérer du joug d’une économie mondiale dérégulée

mai 1998












Sommaire page

INTRODUCTION 3


PREMIERE PARTIE

I. Regarder la réalité en face

1. Nos expériences dans le contexte de la mondialisation 7
2. La situation particulière aux pays d’Europe Centrale et de l’Est 8
3. La situation propre aux pays de l’Union Européenne (UE) 9

II. Reconnaître les causes

1. L’enracinement dans la culture européenne 10
2. Les points principaux de notre analyse 11

III. Juger avec notre cœur et notre esprit

1. les vieux conflits 14
2. De nouvelles possibilités 15

IV. Agir ensemble
1. Discerner et dénoncer 17
2. Refuser 17
3. De nouvelles visions 18
4. Des alternatives à petite échelle 19
5. L’engagement politique 21

V. Les prochaines étapes du processus 24




DEUXIEME PARTIE

I. Un exemple de réflexion critique pouvant mener à nouer des alliances :
les Eglises chrétiennes

1. les fondements bibliques des Eglises chrétiennes 26

2. Quand des  théologies « d’Etat » et « capitaliste» justifient l’injustice, 27
l’absence de paix et de la destruction de l’environnement

3. La réconciliation fictive sur base d’ecclésiologie. 28

4. L’option fondamentale de la théologie prophétique aujourd’hui : 29
la vie pour tous plutôt que l’argent pour quelques-uns











INTRODUCTION


En Europe, ça bouge. Des chômeurs ne se contentent plus de leur situation d’exclusion et commencent à développer différentes initiatives. Des syndicats n’acceptent plus que certains droits sociaux acquis de haute lutte soient démantelés et s’efforcent de peser à nouveau en politique. Des mouvements de femmes s’attaquent aux structures patriarcales. Des mouvements étudiants manifestent contre les réductions des budgets de l’éducation. Des assurés sociaux réagissent contre un système de santé réservé aux riches. Des agriculteurs refusent les politiques agricoles dont ne bénéficient que les grosses sociétés et les détenteurs de capitaux.
Des chrétiens et même certaines Eglises font retour à leurs racines bibliques et  redécouvrent « l’option préférentielle pour les pauvres ». Des paroisses et des groupes de citoyens militants donnent asile en divers lieux à des réfugiés menacés d’expulsion et mènent d’autres actions. Des organisations non-gouvernementales (ONG) fédèrent leurs énergies dans des campagnes destinées à promouvoir la justice entre le Nord et le Sud. Des mouvements de paix se manifestent à nouveau aux yeux de l’opinion publique. Des mouvements écologistes combattent énergiquement diverses formes d’atteintes à la vie. Des intellectuels, des artistes et même des secteurs de la classe moyenne font entendre leurs voix et disent : « A présent, cela suffit ! »

Par ce Document Kairos pour l’Europe, nous voudrions discerner le sens de ces nouveaux mouvements en Europe et apporter notre part au changement en cours.

En 1985, l’oppression que le régime d’apartheid faisait peser sur la majorité de la population d’Afrique du Sud avait atteint son point maximum. Par ailleurs, la résistance se regroupait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. C’est l’époque où des chrétiens ont proposé leur analyse théologique de la crise politique et ont appelé leurs Eglises à choisir clairement le camp de la résistance et de la solidarité. Ce faisant ils ont renforcé des alliances anti-apartheid à travers le monde entier. Cet appel, ils l’ont intitulé Document Kairos .
Ils ont utilisé un mot grec qui dans la Bible signifie  le moment opportun du repentir, de la conversion et des changements  pour lutter de façon décisive aux côtés des opprimés, en période de crise ou quand est venue l’heure de vérité.
En 1988, des chrétiens d’Amérique Centrale stimulés par ce Document Kairos d’Afrique du Sud, ont publié également un Document Kairos adapté à la situation de leur région. Le président américain Reagan avait alors, avec le soutien des régimes militaires da la région, déclaré « une guerre totale contre les pauvres »
et contre les mouvements sociaux qui les soutenaient. Parmi eux, ceux qui étaient chrétiens, ont alors publié
leurs «  Revendications aux Eglises et au monde  ».
Quelques années plus tard, des chrétiens des Philippines, de Corée du Sud, de Namibie, d’Afrique du Sud, du Salvador, du Nicaragua et du Guatémala se sont réunis et ont préparé un document «  Le chemin de Damas - Kairos et conversion  ». Ils y interpellaient les Eglises et les chrétiens, particulièrement ceux du Nord, les invitant à retirer leur soutien à ceux qui « persécutent » les populations (particulièrement celles du Sud), à renoncer au colonialisme et à l’impérialisme. Par analogie avec la conversion de Saül devenu Paul sur le chemin de Damas, les soi-disants chrétiens étaient invités par ce Document à abandonner leur rôle de « persécuteur » pour commencer à travailler à l’avènement de communautés messianiques de justice et de paix.

En 1989 à Bâle, lors du premier Rassemblement oecuménique européen pour « la Justice, la Paix et la sauvegarde de la Création », des groupes oecuméniques ont adhéré à cet appel.
Ils ont constitué le réseau de KAIROS EUROPE . Deux motivations les animaient.
D’abord, l’injustice présente qui ne menace pas seulement la survie des populations du Sud. Chez nous aussi en Europe, le néolibéralisme, qui repose sur la dérégulation du marché, mène au chômage de masse et à la régression sociale. Il ne s’agit pas seulement de rencontrer l’injustice que l’Europe exerce à l’égard de pays tiers, mais aussi celle qui se développe en Europe elle-même et rencontre une résistance croissante.
2° Ensuite, une telle résistance au néo-libéralisme ne peut réussir que si les solidarités entre exclus et défavorisés du Sud et du Nord, de l’Est et de l’Ouest se rejoignent par-delà les frontières des diverses croyances et philosophies. C’est pourquoi le présent appel ne s’adresse pas seulement aux chrétiens et aux Eglises.


Comment cet appel a-t-il vu le jour ?

Dès 1996 KAIROS EUROPE a invité des groupes, mouvements et individus à préparer un Document Kairos pour l’Europe. A ce jour, ils sont environ deux cents à avoir pris part à la discussion et rédigé plusieurs versions et textes-martyrs. De nouvelles réponses, amendements et corrections arrivent chaque jour. Nous ne pouvons donc croire que cette version du document Kairos sera la dernière. Nous souhaitons en fait par la confrontation même avec ce texte stimuler un processus qui va au-delà de ce document.

Nous vous invitons par ce document, à réfléchir, à discuter, à le signer et par-dessus tout à créer des alliances avec d’autres en vue de changer la situation actuelle. Les causes des développement injustes au niveau mondial et en Europe ont des racines communes. Nous ne pouvons en arriver à bout que si nous nous mettons ensemble.


Qui sommes-nous qui lançons cet appel ?

Les auteurs et signataires sont des personnes et des groupes d’origine, de centres d’intérêts et d’options politiques divers, mais qui ont une préoccupation commune.


Ce sont des personnes âgées avec une petite pension.
Il y a aussi des demandeurs d’asile et des migrants qui souffrent de discriminations, des victimes de violence sexuelle et structurelle, des exclu(e)s de la société et des Eglises officielles, privé(e)s de toute capacité d’influence directe ou indirecte. Certains n’ont même pas de statut légal. En tant que femmes, ces personnes sont particulièrement touchées et désavantagées par rapport à toutes ces situations. Beaucoup se sont replié(e)s sur des ghettos, d’autres plongent dans la dépression et d’autres enfin penchent pour l’agression et la violence.
Ils (Elles) cherchent à se joindre à d’autres pour gagner un droit à la participation.


D’autres sont enrôlés dès l’enfance comme soldats et combattent contre d’autres enfants dans des guerres qui ne sont pas les leurs, ou sont obligés de fuir constamment l’oppression. La drogue et la culture de la violence se sont substituées aux jeux insouciants et aux possibilités d’épanouissement propres à l’enfance.
On compte aussi parmi nous des groupes qui travaillent avec les enfants des rues, d’autres sont attachés aux droits écologiques d’enfants empoisonnés dès le ventre de leur mère par un environnement pollué. La jeune génération considère d’ailleurs que la génération adulte actuelle détourne à son profit les ressources naturelles comme si il n’y avait pas de lendemain. Depuis Tchernobyl, désastre industriel sans frontières, ils ont perdu toute confiance en une possibilité de décisions prises de manière responsable « au nom des générations futures ».
Mais ces jeunes sont à la recherche de compagnons de lutte capables de construire avec eux un avenir.


Comme le déclarait un Hongrois : « Nous vivons aujourd’hui sous une troisième dictature, après Staline et Hitler, c’est maintenant celle du marché mondial ».



A qui nous adressons-nous ?

Beaucoup de gens ne croient plus être capables de faire quelque chose qui puisse apporter un changement à tous ces dysfonctionnements économiques et politiques, que ce soit par leur bulletin de vote ou par un dialogue avec les gens au pouvoir ; certains se résignent ou capitulent. D’autres pourtant ont gardé espoir.
Ils s’organisent au sein de la société civile - terme par lequel on désigne généralement les organisations et actions de citoyens présentes dans toutes les sphères de la société et qui s’organisent indépendamment de l’Etat, des sociétés aux intérêts privés et de l’armée.
Nous sommes persuadés que c’est seulement au travers de telles démarches s’appuyant sur une base sociale (from below) que des pratiques alternatives peuvent se développer et que l’économie et la politique peuvent à nouveau être mises au service de l’être humain. C’est pourquoi cet appel ne s’adresse pas d’abord aux institutions économiques et politiques, mais plutôt aux personnes actives au sein de la société civile.

Le concept de société civile ne manque pas d’ambiguïté. Il y a des acteurs de la société civile qui défendent les intérêts des riches et des puissants économiques et politiques. Nous voulons bien évidemment travailler avec ceux qui, par contre, sont au service des gens, de la vie, de la nature et des générations futures -en particulier avec ceux qui sont en conflit avec les détenteurs de pouvoirs et d’argent.
Devant la situation critique en Europe comme au niveau mondial, nous voulons lancer un appel le plus large possible, à nous rassembler (dans notre propre intérêt) avec ces mouvements de défense, de contestation et de propositions et ainsi à émettre des signes d’espoir.

La plupart des associations et mouvements se spécialisent sur une question ou une catégorie de gens, par exemple les chômeurs. Un tel objectif précis est nécessaire, vu l’urgence et parce que ces associations permettent à ceux qui sont directement concernés de redevenir acteurs; parfois les militants, accaparés par le quotidien, n’ont plus ni énergie ni courage pour combattre sur des fronts plus larges ou s’y impliquer politiquement.
Etant donné le caractère compétitif de nos sociétés, le fait de s’organiser par rapport à un objectif unique est d’ailleurs la meilleure manière de vaincre l’exclusion et la discrimination de certains groupes de population.
De tels groupes sont de plus des réservoirs irremplaçables d’expérience, de sagesse et de stratégies pour l’action. Devant l’ampleur des objectifs à atteindre, il faut reconnaître cependant le caractère très limité de ce type de groupe et des stratégies qu’il développe.

Aujourd’hui il est nécessaire de changer fondamentalement notre système économique, politique et nos valeurs. Comme personne ne peut prétendre réaliser cela à lui tout seul, il nous faut absolument travailler ensemble. Notre but est d’inviter les groupes et individus de la société civile comme mentionnés plus haut, à s’engager dans un processus de réflexions et d’actions en vue de renforcer notre capacité à travailler en réseau et à former des alliances. Il ne s’agit pas de construire une nouvelle super-organisation, mais de rendre possible des coalitions à tous niveaux et avec des buts précis : des  rassemblements locaux comme Agenda 21, des coalitions nationales comme celles créées avec les organisations de chômeurs et d’exclus en France, des alliances européennes comme les « Marches contre le chômage, la précarité et les exclusions »

Dans le but de travailler à ces rassemblements, nous proposons dans ce document, 4 étapes principales :
I. Regarder la réalité en face
II. Reconnaître les causes
III. Juger avec notre cœur et notre esprit
IV. Agir ensemble

Dans cette attitude d’esprit, nous invitons les organisations et personnes engagées pour une Europe centrée sur le social, la vie et la démocratie, à se mettre d’accord sur des objectifs larges et, ensemble avec toutes les personnes concernées, à former des rassemblements politiquement efficaces.






























PREMIERE PARTIE


I. REGARDER LA REALITE EN FACE

1. Nos expériences dans le contexte de la mondialisation

L’Europe, qui a connu une grande prospérité, est actuellement une société de plus en plus divisée . Tout le monde en convient.
On sait qu’à l’échelle de la planète, 20% de la population dispose de 80% des revenus et des ressources et que les 80% autres se partagent le reste. Cette situation de contraste extrême entre riches et pauvres est bien présente dans les statistiques des Nations-Unies de 1997 ; celles-ci établissent que 358 multi-milliardaires ont un revenu annuel équivalent à celui de 45% de la population mondiale (2,3 milliards de personnes) !
Cette situation de fracture sociale, de plus en plus apparente même en Europe, n’est pas seulement une question de ressources matérielles. Tout au long de leur vie, les exclus ne ressentent que difficultés, souffrances, stress, insécurité, peur et espoirs déçus.

On chante aux travailleurs européens en matière d’emploi les merveilles du modèle anglais qui reprend les caractéristiques américaines et on les prépare ainsi à accepter de bas salaires et une détérioration des conditions de travail.
Les changements structurels dans l’agriculture se multiplient et transforment les fermes en de l’agro-business. Un petit nombre de fermes peuvent résister grâce à des pratiques écologiques. D’autres s’efforcent de développer des fermes coopératives. La majorité des petites fermes, sur le long terme probablement plus de 50%, devront s’arrêter.

En Europe et à l’échelle mondiale, le plus grand problème est incontestablement le chômage de masse.
Le chômage structurel et croissant mène souvent à une perte de dignité et de respect vis-à-vis de soi-même.
Il peut en résulter une exclusion de la Sécurité sociale ou même la perte de tout domicile fixe (SDF).
Les femmes sont particulièrement désavantagées surtout si elles restent seules avec des enfants.
70% des personnes exclues sont des femmes. A l’heure actuelle, nous assistons non plus à l’exploitation telle qu’on l’a connue au XIX° siècle, mais à l’ exclusion. Il y a une tendance croissante dans la société à rejeter ceux qui ne sont pas les gagnants du marché mondial et de sa compétition.

Les mécanismes mondiaux qui ont mené à 500 années de génocide, de catastrophes écologiques, d’esclavage et de colonialisme sont aujourd’hui de plus en plus à l’œuvre même en Europe occidentale. Etant donné l’accroissement tragique de la pauvreté et de la misère des populations du Sud, de l’Est et de l’Ouest , nous ne devons donc pas être surpris que la violence et les insatisfactions soient croissantes. L’Europe a une longue tradition de violence ; violence sexuelle contre les femmes, violence éducative à l’égard des enfants, violence contre la nature et contre ces populations d’autres cultures qui de manière abusive sont qualifiées
de « primitifs ». L’histoire de nos langues et de nos cultures sont pleines de mythes et symboles qui expriment cette violence. C’est de là que proviennent ces violences qui détruisent écoles, familles et cités.
Le sentiment d’impuissance peut mener au désespoir et ainsi s’enclenche la spirale de la violence. De vieilles rancoeurs entre groupes de populations différentes refont surface et sont artificiellement exacerbées, comme dans l’ex-Yougoslavie. Le commerce des armes est florissant. La fabrication d’équipements destinés à la police, pour renforcer la sécurité ou les prisons fait partie des secteurs de l’économie aux taux de croissance les plus élevés. Quoique le conflit Est-Ouest soit terminé, certaines dépenses militaires sont toujours en expansion. On peut prendre pour exemple les récentes décisions prises par divers gouvernements européens, concernant la production d’avions Eurofighter (plus de 30 milliards de Deutsch Marks prévus sur les prochaines années).
On pourrait même parler de nouvelles formes de militarisation de l’Ouest. Des stéréotypes décrivant
de nouveaux ennemis servent à justifier des forces de déploiement rapide qui ne serviront qu’à défendre les intérêts économiques des nations industrielles occidentales. Nous assistons aussi à une violence structurelle, une érosion de la démocratie par les institutions multinationales et financières, la tyrannie de la publicité et de la consommation, et la marginalisation de toute forme de pensée critique au niveau des médias.

Du point de vue écologique , nous faisons du surplace. Malgré Tchernobyl, l’énergie nucléaire a retrouvé quelque respectabilité ; les réductions de gaz CO2 et les économies d’énergie sont loin d’atteindre les objectifs initialement fixés, le réchauffement de l’atmosphère poursuit dès lors son cours. L’argument de la compétitivité au niveau mondial pousse les normes écologiques vers le bas. De même les normes imposées aux manipulations génétiques sont abaissées. De grandes quantités de ressources naturelles sont accaparées au bénéfice de la production de biens et services, elle-même soumise aux pressions artificielles et à la recherche du profit immédiat qui alimentent en permanence la demande.

La question écologique a, à l’échelle mondiale, un impact social énorme. Les mécanismes d’appauvrissement du Tiers-Monde sont le résultat immédiat entre autres de la dégradation écologique, laquelle a pour cause des intérêts économiques dominants.
Ainsi, la nette diminution des pluies au Sahel durant les vingt dernières années doit être comprise à la lumière du réchauffement de la planète. La faim au Nord-Est du Brésil ne doit pas seulement être liée au système de propriété des terres agricoles mais aussi aux déforestations des zones côtières. Selon les estimations de la Croix-Rouge, il existe à l’heure actuelle environ 50 millions de réfugiés environnementaux.
Les prévisions pour l’avenir immédiat devraient en tout cas nous interpeller. Si un changement écologique structurel n’est pas décidé, on peut prévoir, selon les estimations de l’Institut Fraunhofer, que 900 millions à un milliard 800 millions de personnes mourront de faim d’ici l’an 2030.
Les 20% les plus riches non seulement consomment 80% des ressources naturelles, mais cause aussi plus de 80% des émissions toxiques et consomment la plupart des énergies non-renouvelables...

2. La situation particulière des pays d’Europe centrale et de l’Est

Nous avons fini par considérer les difficultés économiques et sociales présentes actuellement en Europe Centrale et de l’Est comme les conséquences du communisme. C’est une explication un peu trop simple et superficielle. L’irruption des forces dominantes de l’économie mondialisée dans ces pays a pratiquement empêché toute possibilité d’auto-détermination sociale et économique . Bon nombre de ces pays (spécialement la Pologne, la Hongrie et la Yougoslavie) étaient déjà fortement endettés à l’égard de l’Ouest avant la chute du rideau de fer et de ce fait sont victimes des mêmes mécanismes que les pays endettés du Tiers-Monde. De plus, après la chute du communisme, leurs ressources ont été bradées à l’Ouest et leurs sociétés se sont retrouvées dramatiquement divisées en deux groupes : quelques gagnants et beaucoup de perdants.
Ainsi, dans l’ex-RDA, seuls 6% des outils de production sont restés aux mains des Allemands de l’Est ; le reste a été acheté par des sociétés de l’Ouest.
La côte nord de la Russie a été presqu’entièrement achetée par de grands groupes occidentaux parce que son sol contient des réserves importantes de pétroles, diverses matières premières et que son sol est couvert de forêts.
Dans le reste de la Russie, des compagnies transnationales ( CTN ) tirent des bénéfices substantiels de ses ressources naturelles. D’ailleurs, en échange de prêts du FMI pour la campagne électorale de Boris Eltsine, la Russie appauvrie a dû réduire massivement ses droits de douane à l’exportation sur ses matières premières, se privant ainsi d’une source importante de devises. Finalement, la libéralisation des marchés des ex-pays d’Europe centrale s’est traduite par une véritable ponction de richesses.
En effet, au sein d’un commerce mondial libéralisé, les faibles perdent toujours face aux riches.

La division séparant riches et pauvres en Europe centrale et de l’Est est dramatique. Le chômage dépasse de loin le niveau des pays occidentaux. Les programmes d’ajustement structurel frappe plus spécialement les femmes par la réduction des services publics (d’intérêts généraux) notamment. Les plus faibles sont précipités dans la pauvreté la plus extrême. La fracture sociale est d’autant plus tragique qu’elle se produit brutalement.
Le chômage et les formes les plus sévères de pauvreté y étaient quasi inconnus jusqu’ici.

Un élément nouveau de perturbation dans les relations de paix sur le continent européen est l’intégration des pays d’Europe centrale et de l’Est à l’OTAN. Ces pays doivent moderniser leurs armées grâce à l’acquisition de nouveaux armements et ceci constitue un fardeau financier supplémentaire pour eux. Les marchands d’armes occidentaux y gagnent, les populations de ces pays y perdent.
On aurait pu envisager une approche différente de cette pure extension de la domination occidentale. On aurait pu faire reposer des relations nouvelles avec ces pays par la développement d’une sécurité commune et réciproque. L’instrument de cette politique existe déjà : l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). On doit tout simplement le renforcer.

L’environnement est un autre domaine où l’Ouest doit accepter sa part de responsabilité. On ne peut énumérer ici tous les scandales qui illustrent le fait que les pays d’Europe occidentale ont utilisé des pays d’Europe de l’Est comme des zones de décharge pour leurs déchets nuisibles et dangereux, ajoutant ainsi à la pollution produite par ces pays eux-mêmes.

Certaines organisations de l’Ouest exercent un travail d’aide auprès de l’Europe de l’Est. Il y a cependant très peu de rapports, d’analyses et peu de lobbying politique en ce qui concerne les questions structurelles des pays de l’Europe de l’Est. Il y a là un domaine où il nous faut intervenir de toute urgence.

3. La situation propre aux pays de l’Union Européenne (UE)

En 1993, le Marché unique a été institué entre les pays de l’Union Européenne. L’argument développé entre autres, pour justifier cette décision était que cela créerait des emplois. Dès ce moment-là pourtant, on pouvait discerner les intentions sous-jacentes.
Quand en 1992, le Traité de Maastricht avait décidé d’une Union économique et monétaire (UEM), on avait déjà justifié celle-ci en déclarant qu’elle constituait un pas supplémentaire qui rendrait l’union politique et sociale inévitable. Ce qui est arrivé en fait, c’est que l’Union monétaire a été ratifiée avec pour seul objectif d’assurer la stabilité de la monnaie (ou stabilité de la création de richesse). Il n’y a aucun engagement clair
de lier celle-ci au développement d’une politique sociale et de l’emploi qui soit commune.
L’Union monétaire n’est pas plus liée à une politique européenne cohérente au sein des institutions économiques et financières internationales .Une telle politique devrait viser à réguler les flux de capitaux, et particulièrement à diminuer la spéculation et empêcher l’évasion fiscale.

Au lieu de cela, des critères de convergence ont conditionnant l’entrée des différents Etats dans la monnaie unique. Ces critères limitant les déficits publics d’Etats surendettés notamment à cause des facilités accordées parallèlement aux détenteurs de capitaux, ont entraîné des politiques d’austérité. De ce fait, les populations européennes sont forcées de se plier aux mêmes programmes d’ajustement structurel que ceux que le FMI impose aux pays surendettés du Sud et de l’Est. L’intérêt prioritaire des politiques menées à l’intérieur de l’UE est de créer les conditions les plus profitables à la croissance du capital (basse inflation) et de positionner l’Europe par là dans la compétition avec les USA et le Japon. Les projets de Marché Unique et de l’UEM ont fondamentalement pour objectif de concentrer le capital à des fins de compétitivité.
Les conséquences en sont un chômage croissant, des coupes sociales et la marginalisation des régions défavorisées d’Europe.

Dans cette même logique, l’UE pousse toujours davantage à la libéralisation du commerce mondial et diminue les conditions commerciales favorables accordées aux anciennes colonies ( comme convenues par les Accords de Lomé ). Ceci a de sérieuses conséquences négatives pour les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ( pays ACP ) qui ont déjà souffert suffisamment du colonialisme de l’Europe Occidentale. Au niveau du commerce mondial, l’UE ne pousse guère non plus à l’élaboration de clauses sociales ou de normes écologiques. Ceci a été constaté encore récemment lors des négociations sur les Accords multilatéraux sur les investissements (AMI) discutés au sein de l’OCDE qui, sous leur forme actuelle, privilégient les intérêts économiques par rapport aux responsabilités sociales et politiques. L’UE ne prend guère d’initiative en vue de l’annulation des dettes des pays précédemment colonisés, démontrant ainsi qu’elle n’est pas prête à faire face à ses responsabilités à l’égard de 500 années de colonialisme, durant lesquelles il y a eu une constante ponction de ressources du Sud vers le Nord.
Les pays européens ont causé beaucoup de problèmes politiques et sociaux dans le Tiers-Monde ; les réfugiés et les immigrés de ces pays sont rejetés de manière de plus en plus brutale. Le racisme ainsi stimulé, revit en Europe et est de plus en plus violent. Au travers des politiques et des pratiques de la « Forteresse Europe », nous perdons toute sensibilité à la dignité de chaque personne humaine.

Ecologiquement parlant, l’UE offre une image ambivalente. D’un côté, elle adopte de bonnes législations, par exemple sur l’eau potable. De l’autre, avec le Marché Unique qui privilégie les flux de transports au détriment d’une régionalisation de l’économie, elle crée du non-sens écologique. La plupart des directives réduisent les normes écologiques, ainsi les récentes législations en matière de génie génétique.
On peut craindre que les derniers développements de semences de grains de froment génétiquement modifiés accroîtront le recours massif aux herbicides, mèneront aux monocultures et à une perte de la biodiversité.
De plus, il n’y a toujours pas d’indice correct des prix qui prenne en compte le coût réel des dommages portés à l’environnement. Une telle mesure devrait mener à des normes de production plus écologiques, à une diminution du recours aux produits chimiques dans l’agriculture ( fertilisants, aspersion des cultures, hormones de croissance animales et antibiotiques) et à un système agricole plus respectueux de l’environnement. Les énergies renouvelables ne sont pas réellement encouragées. L’Agenda 21, décidé au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 et qui aurait dû être lancé depuis longtemps, n’est pas devenu une priorité au sein de l’UE.

Bref celui qui croyait que l’Europe, qui a plus de poids qu’un pays isolé, enrichirait la communauté internationale de ses vieilles traditions sociales et de sa nouvelle conscience écologique doit être bien déçu.
Au contraire, l’UE sert à promouvoir les intérêts des marchés mondialisés . L’UE et les gouvernements des Etats membres ont pour priorité d’offrir d’excellentes conditions aux marchés financiers. Déjà le tout- au-marché a triomphé des traditions sociales à l’européenne. Logiquement l’espace démocratique se restreint à l’intérieur de l’UE. Le Parlement européen a peu de pouvoirs en matière de prises de décisions et les parlements nationaux se satisfont d’accepter ou de refuser des décisions prises en blocs par le Conseil des Ministres en accord avec la Commission. Sans un changement fondamental de politique, l’Europe occidentale se rendra à nouveau coupable de destruction et d’injustice à l’échelle mondiale.


II. RECONNAÎTRE LES CAUSES


1. L’enracinement dans la culture européenne

Un violent désir de domination et de possession est profondément enraciné dans la culture européenne . Les fondements de ces violences remontent aux origines de la patriarchie, environ 2000 avant JC. Plus récemment, on peut retrouver la forme la plus remarquable de celles-ci dans l’impérialisme romain-hellénique, tel qu’on peut l’apercevoir dans l’œuvre du philosophe grec Aristote au IV° siècle avant JC. Celui-ci, qui fut le précepteur d’Alexandre le Grand, a élaboré un système social hiérarchisé devenu classique par la suite, avec au sommet un souverain dominant par rapport à des populations soumises, ou encore un empereur régnant sur des peuples soumis ou enfin une race supérieure à l’égard des barbares écrasés militairement; dans la structure familiale paternaliste, l’homme doit dominer sa femme. De la même manière, les propriétaires dominent leurs esclaves et finalement les humains s’imposent à l’ensemble de la nature. Ce système social et politique s’est traduit en texte dans le droit romain et est devenu le modèle de la civilisation occidentale patriarcale.

C’est par l’empereur Constantin que le christianisme s’est retrouvé lié au droit et à l’empire romain (312 ap JC). Passant du stade de petite secte juive persécutée à celui d’une religion d’Etat, la chrétienté a utilisé la violence contre d’autres peuples et groupes de croyants, en particulier les juifs et les musulmans.
Cette intolérance s’est exprimée dans une série d’atrocités comme les Croisades, l’Inquisition et le génocide
qui a accompagné les Conquistadors en Amérique latine, sans oublier la Shoah (l’holocauste) du fascisme hitlérien ou les récentes purifications ethniques de Bosnie.

Depuis l’époque moderne , la tradition de violence culturelle s’est reliée à la violence de l’économie capitaliste et a utilisé la science et la technologie pour contrôler la nature. La violence à l’égard des femmes et des populations des autres continents, présente dans les mythes, légendes et symboles européens s’est révélée de la manière la plus évidente dans les bûchers de sorcières (Francis Bacon) et les formes meurtrières du colonialisme.

Aujourd’hui l’Ouest, façonné par toutes ses traditions, est parvenu à une domination planétaire tant au niveau économique, que politique et culturel. Son nom est « la mondialisation ». Le milieu économique et les forces politiques dominantes développent le mythe suivant : l’économie est devenue mondiale et donc tous les travailleurs et tous les pays doivent « s’adapter » comme si c’était un destin inéluctable. On peut ainsi utiliser le concept d’ « ajustement structurel » pour désigner les réformes nécessaires. Celui qui ne suit pas le rythme de la compétition commerciale mondiale est exclu. Ceci est présenté comme un principe aussi valable que la loi naturelle de l’évolution où seuls les plus forts survivent. Faisant suite au libéralisme classique du XIX° et du début du XX°siècle, cette idéologie de nos dirigeants économiques et politiques est appelée néolibéralisme . Celle-ci continue à répandre l’opinion fausse qu’il est dans l’intérêt même des plus faibles de voir les forts s’imposer toujours plus.

Nous souhaitons que les principaux partis politiques, Socialistes, Sociaux-démocrates, Ecologistes reviennent à leurs propres fondements, cessent de pactiser avec des options et des pratiques néolibérales et nous offrent une analyse plus claire de la situation ainsi que des alternatives efficaces. La même chose vaut de la majorité des syndicats et des principales églises européennes. Nous voyons qu’ils critiquent les conséquences du système et font des déclarations théoriques contre « la pure économie de marché ». Cependant ils devraient nommer les coupables et avoir le courage de faire une analyse détaillée des mécanismes, structures, normes culturelles et religieuses qui soutiennent le système. Ils n’attaquent pas directement les intérêts qui sont derrière ces mécanismes ; ils justifient ceux-ci en disant qu’ils ne peuvent pas être changés.
S’ils le faisa ient, ils procureraient une force libératrice à beaucoup d’Européens, les rendraient capables de vaincre leur sentiment d’impuissance et d’abandon vis-à-vis de ces structures et, ensemble, d’envisager des alternatives.

C’est là où notre appel veut en venir. Nous voulons briser la peur diffuse face aux puissances anonymes et soi-disant incontournables en appelant à les désigner par leur nom. C’est ainsi que nous serons mieux à même de développer des alternatives et d’influencer les hommes politiques.


2. Les points principaux de notre analyse



La mondialisation est le domaine exclusif des personnes et systèmes qui gèrent les flux de capitaux. On peut donc y compter ceux qui gèrent les finances, l’économie (en y incluant le développement technologique) et les médias. Les sociétés transnationales, banques et compagnies d’assurance, associées aux mass-médias qu’elles contrôlent, sont elles-mêmes des acteurs mondiaux (« global players »). Ceux-ci sont en mesure de jouer avec succès des oppositions qu’ils créent entre les syndicats et les gouvernements nationaux. Ils poussent les PME et petites sociétés à une compétition sans merci, ce qui conduit celles-ci à de nombreuses faillites. Les collectivités locales n’ont rien à dire à propos de prises de décisions de multinationales, même lorsque celles-ci les concernent au premier chef.


Les nouvelles technologies ont entraîné des gains de productivité. Moins de travail est nécessaire pour une même production. Cependant au lieu d’utiliser cette situation de moindre travail et de profits accrus pour procéder à un juste partage du travail et des revenus pour tous, on assiste à une croissance des taux de chômage utilisée pour accroître la pression sur ceux qui ont encore un emploi afin qu’ils acceptent des diminutions de salaires et des conditions de travail plus défavorables : c’est une nouvelle lutte des classes, mais cette fois-ci entre couches de travailleurs.
A chaque fois que des réductions importantes de personnel d’une société donnée sont annoncées, son cours en Bourse s’envole. Les profits obtenus ne sont que rarement réinvestis dans des sociétés innovantes et viables, utilisant avec soin les ressources naturelles et multiplicatrices de « bons emplois ». Le plus souvent, ils sont dirigés vers des transactions financières spéculatives à court terme, une pratique qui développe le risque de mener à une crise économique au niveau mondial.


Les détenteurs de capitaux se servent de la liberté transnationale pour faire échapper leurs profits aux impôts des Etats. Ils ne paient d’ailleurs pratiquement pas d’impôts sur les bénéfices résultant des avoirs monétaires. Les politiques néo-libérales renforcent encore ce processus par des réductions de taxes en faveur des détenteurs de capitaux. L’argument invoqué est que ces réductions doivent mener à des créations d’emplois ; ce qui s’avère faux dans la réalité.
En fait, la liquidité croissante du capital est investie dans des fusions, des rationalisations et dans des placements spéculatifs. Les pertes d’impôts consécutives au chômage de masse, les réductions d’impôts sur les fortunes et sur le capital, la fraude fiscale sont les principales raisons de l’endettement (voire du surendettement) de pratiquement tous les Etats.
Il en résulte que les détenteurs de capitaux tirent un double bénéfice de la situation :
d’un côté par les exemptions fiscales multiples dont ils bénéficient ou qu’ils se créent , de l’autre par les intérêts gagnés sur l’argent prêté à l’Etat.
Les Etats pour leur part, diminuent de plus en plus leur contribution à la protection sociale pour pouvoir financer les trous créés par cette diminution de l’assiette fiscale et les intérêts dus au remboursement de la dette.



Des attaques spéculatives de plus en plus importantes contre les monnaies se sont déclenchées ces dernières années. Des institutions comme le FMI, soutenues par les Etats les plus riches, sont intervenues de manière croissante avec pour objectif d’éviter des crises plus généralisées : ainsi entre monnaies européennes en 1992-1993, à l’égard des monnaies mexicaine en 1994 et asiatiques en 1997-1998. Ces mouvements spéculatifs ont porté atteinte tant à la croissance économique qu’à la situation sociale ou parfois à l’indépendance des Etats. Ceux-ci y ont notamment perdu les ressources nécessaires à la justice sociale.

L’ampleur sans cesse croissante des transactions monétaires au niveau mondial (plus de 1300 milliards $ par jour), presque totalement spéculatives, fausse les décisions macro et micro-économiques. Elle détourne à des fins purement spéculatives, des épargnes qui pourraient être consacrées à des buts plus utiles. Elle introduit une volatilité insupportable des prix, par exemple dans le domaine des matières premières.

Une autre composante de la problématique d’une économie mondiale dérégulée est l’existence d’une criminalité économique organisée. On estime entre 30 et 50% la part de l’économie mondialisée qui relève de l’illégalité.
Ceci comprend des trafics de commerces d’armes et de drogue, la navigation sous pavillon de complaisance, la traite d’enfants et de femmes en vue de la prostitution, le blanchissement d’argent via le secret bancaire et les paradis fiscaux.

Dans les pays les plus pauvres, de profondes divisions sociales existent entre une minorité extrêmement riche et la pauvreté de la majorité de la population. Cette opposition est renforcée par d’énormes dettes nationales et les politiques d’ajustement structurel. De plus, des migrations sont provoquées par des opérations militaires dans lesquelles certains pays de l’UE portent leur responsabilité. Ainsi, procure-t-on des armes à la Turquie qui s’en sert contre les Kurdes. Quand ceux-ci émigrent de Turquie ces mêmes pays fournisseurs d’armes les traitent de criminels !
Des millions de personnes s’efforcent ainsi de trouver un refuge et un avenir grâce à l’émigration. Ceux qui arrivent à franchir les murs de la « Forteresse Europe » sont désignés comme les boucs-émissaires d’un chaos mondial vieux de 500 ans !
La plupart d’entre eux ne peuvent émigrer que de manière illégale. La solution que nos politiciens néolibéraux offre ne consiste pas dans la suppression des causes fondamentales de la misère dans nos pays et chez eux, mais dans une nouvelle déportation de ceux qui cherchent asile. L’émigration est comprise comme une cause, alors qu’elle est une conséquence ; ainsi les victimes du chaos sont-elles victimes une deuxième fois.

Depuis 1971, des décisions politiques délibérées ont été prises pour mettre fin à la régulation des marchés de capitaux. La responsabilité en revient non au « destin », mais aux gouvernements des sept pays industriels les plus riches (G7), groupement créé dans les années 70. Ils permettent et encouragent dérégulations, libéralisations et privatisations non seulement lors de leurs sommets économiques mais aussi via les institutions de Bretton Woods qu’ils contrôlent (FMI, Banque Mondiale et OMC qui a remplacé le GATT).
Si les Accords Multilatéraux sur les Investissements (AMI), récemment discutés au sein de l’OCDE, étaient adoptés sous leur forme présente, les sociétés transnationales pourraient poursuivre les Etats dans la mesure où des législations nationales sociales ou écologiques menaceraient leurs intérêts. Par contre, les Etats ne disposeraient pas d’armes légales correspondantes contre ces mêmes compagnies. Ce projet contredit la Charte des Nations-Unies sur les droits et devoirs économiques des Etats (1974) qui stipule que : « Chaque nation a le droit inaliénable de réglementer les investissements étrangers et d’exercer son contrôle sur les investissements ».
Par de telles décisions, des gouvernements démocratiquement élus ont supprimé eux-mêmes la démocratie au niveau international sur les questions les plus importantes de politique économique et financière. Les hommes politiques ont eux-mêmes renoncé à leurs pouvoirs dans le domaine de l’économie et de la haute finance et ainsi rendu le bien-être des gens et la survie de l’éco-système complètement dépendants de l’économie de marché et du règne du profit.
Les hommes politiques imposent ainsi aux populations le règne de la compétitivité lié au « laissez-faire » néolibéral, de même que les programmes d’ajustements structurels, qui démantèlent les systèmes sociaux et encouragent le dumping écologique.
Les Nations-Unies sont délibérément tenues en laisse et manipulées par cette coalition des forces du marché et des gouvernements des riches, et les propositions de réforme de l’ordre économique n’arrivent même pas à l’ordre du jour des assemblées.

Malgré la fin du conflit Est/Ouest, les politiques occidentales soutiennent de très lucratives industries d’armements. En même temps depuis les années 80, l’Ouest sous leadership américain, défend ses intérêts économiques au niveau mondial grâce à des interventions de forces de déploiement rapide.
La récente guerre du Golfe en fut le premier exemple important. Plutôt que de proscrire la violence guerrière, on amplifie les conflits armés régionaux et les guerres redeviennent un « moyen légitime de faire de la politique ».

L’économie capitaliste s’est emparée non seulement de la politique, mais aussi des médias. Mis à part quelques restes, l’ensemble de ceux-ci s’est libéré du contrôle public et démocratique et a été agressivement privatisé. Le résultat est une gigantesque concentration de pouvoir et la manipulation des coeurs et des esprits au service des valeurs et des comportements capitalistes, l’acceptation de la violence, le sexisme, la désinformation générale et l’illusion.

la science économique néolibérale répand dans la population la conviction paralysante que le développement de l’économie mondialisée répond à une sorte de destin aussi incontournable que les lois de la nature. Le système actuel de pouvoir et de contrôle repose sur cette base. Des sociologues ont mis en évidence que l’économie dominante n’est pas une science, mais un système de croyance, dans lequel la croissance de la richesse monétaire est une sorte de «dieu ». On met tout en place pour que les gens eux-mêmes et la vie même de la planète se subordonne à ce dieu, qui bien sûr doit être défendu par un gigantesque appareil militaire mondial.

Quelque chose est complètement ignoré dans la pensée et la manière de faire néolibérale : c’est l’économie domestique. Si d’autres critères que monétaires étaient utilisés, les économies domestiques représenteraient, suivant certaines estimations, plus de 50% du Produit national même dans les pays industrialisés. Le travail des femmes est ainsi rendu invisible, de même qu’au niveau mondial l’économie de subsistance des pauvres. Dans le cadre d’une économie alternative, il y a là un grand potentiel de libération pour des populations asservies au diktat des marchés mondiaux.

Nous sommes conscients du fait que les structures financières, de production et de distribution peuvent seulement fonctionner parce que la majorité des gens les soutiennent par leur style de vie, leur manière de dépenser ou de placer leur argent. Les gens ont soif de bonheur et de bien-être. Les marchés captent ces aspirations comme le font les médias, créant l’illusion que tout est possible. Depuis la plus petite enfance, notre système éducatif encourage un comportement compétitif et élitiste. La libération personnelle des pseudo-bonheurs et du sentiment d’impuissance pour s’ouvrir à une vie avec d’autres en responsabilité partagée est une grande force, y compris pour le renouveau de la société.

Comment juger du rôle que doivent assumer groupes et organisations dans la société ? Comment syndicats, églises, organisations de base, ONG peuvent-ils parler d’une seule voix et se rendre capables de former des alliances ?
Ne sont-ils pas séparés par des philosophies fondamentalement différentes et une histoire de désillusion mutuelle ?



III JUGER AVEC NOS COEURS ET NOS ESPRITS

Il est à peine surprenant que la coalition mondiale de la finance, des affaires, des médias et des gouvernements du G7 puissent si facilement dresser les victimes de tous les pays et de tous les secteurs de la société, les unes contre les autres. La société civile a un grand besoin de prise de conscience et de réconciliation mutuelle qui nous rendent capables de réagir ensemble à ces développements destructeurs au niveau politique, socio-économique et culturel, et de créer des alternatives.
Ce qui suit sont quelques exemples qui montrent comment la société civile peut mettre un terme à ses conflits internes et parvenir à élaborer un consensus basé sur la justice.


1. Les vieux conflits

Durant la révolution industrielle, alors que la population était exploitée au travers de conditions de travail épouvantables, les travailleurs appauvris se sont organisés de manière diverse en un mouvement ouvrier. A cette époque de capitalisme débridé, le travail d’assistance charitable des Eglises s’efforçait de soutenir ces exploités de la classe ouvrière. Ce n’est que bien plus tard que la majorité des Eglises a commencé à dénoncer le caractère inhumain du système. De ce point de vue, les réactions athées du marxisme, des mouvements syndicaux et du communisme à l’égard de la religion sont compréhensibles. Par ailleurs, au cours du XX° siècle, le stalinisme a fait beaucoup de victimes dans tous les domaines. Le socialisme bureaucratique n’a pas montré beaucoup plus d’intérêt pour la survie de l’environnement que le capitalisme.

Dans la période récente néolibérale, les syndicats se sont efforcés de réagir à la transnationalisation du capital en créant un regroupement syndical européen et international. Mais, les difficultés organisationnelles et également les différences d’intérêts à court terme entre les travailleurs des différents pays, ne leur ont pas encore permis de constituer un contre-pouvoir vraiment efficace. Il y a aussi une absence de représentation adéquate des chômeurs, qui devrait permettre à ceux-ci de voir leurs intérêts vitaux mieux reconnus par les syndicats. Etant donné l’urgence à constituer des rassemblements actifs, les différents acteurs devraient s’efforcer de dépasser ces conflits présents et passés.

Les discriminations à l’égard des femmes sont présentes dans presque toutes les institutions sociales, politiques, économiques et religieuses d’Europe. Celles-ci trouvent leur origine dans la patriarchie.
Marquée par cette patriarchie, la société est restée indifférente face aux diverses manifestations de cette discrimination. Depuis le XIX° siècle mais surtout depuis les 30 dernières années de ce siècle, les mouvements de femmes ont lutté à l’intérieur de la société et également au sein des communautés chrétiennes pour une pleine participation des femmes à tous les niveaux de pouvoir, et un rééquilibrage, dans les domaines tant public que privé, des relations injustes entre sexes.

Ces mouvements exigent :
- que la société cesse d’imposer à la femme le rôle stéréotypé de la victime et à l’homme celui de l’oppresseur.

- que ceux qui sont en position de force, hommes ou femmes, reconnaissent et promeuvent la contribution des femmes tant dans les emplois salariés que dans le travail non-payé.

- que les femmes et les hommes s’engagent à démanteler les structures patriarcales. Ce qui suppose que les hommes reconnaissent honnêtement les effets oppressifs des modèles actuels de domination et de pouvoir sur les femmes et les autres groupes vulnérables.

- de mettre en question les stéréotypes erronés de la masculinité et de la féminité mis en place par la patriarchie.

- qu’on prenne conscience qu’il n’est pas possible de renoncer aux structures patriarcales sans mettre fin aux autres formes d’oppression économique, raciste et hétérosexuelle.


Il y a toujours eu de nombreuses et diverses cultures en Europe : particulièrement aujourd’hui avec la présence de nombreux travailleurs immigrés et de réfugiés, dont beaucoup se sont installés de manière définitive dans leur pays d’accueil. Le dialogue critique entre les différents systèmes de valeurs, cultures et religions, et la mise sur pied de réseaux de rencontres en sont encore à leurs débuts. Les tensions et blessures infligées de part et d’autre par des populations de croyances diverses remontent loin dans le temps.
Ainsi depuis que l’Eglise chrétienne s’est liée à l’empire romain, elle a continuellement mêlée le royaume de Dieu avec des intérêts politiques, économiques et culturels. Pour donner quelques exemples : les Croisades au Moyen-Age ; la conquête de l’Amérique du Sud et du Nord justifiée par la mission ; de même que le colonialisme encouragé par des Etats nations protestants...
De ce fait, les Eglises européennes sont devenues complices d’exclusions, de persécutions et parfois d’extermination d’individus, de groupes et de populations qui n’acceptaient pas de se soumettre. Même les divisions entre Eglises ont été en partie causées par l’amalgame du religieux avec des intérêts politiques et économiques, ainsi la séparation en 1054 entre l’Eglise d’Occident et celle d’Orient, et au XVI° siècle entre l’Eglise romaine et celles de la Réforme. La guerre en Yougoslavie, le conflit d’Irlande du Nord, les tensions entre le monde arabo-musulman et l’Occident montrent que les blessures ne sont pas refermées à ce jour. Des motivations religieuses peuvent être invoquées pour justifier la résolution des conflits par le recours à la force.

Pour toutes ces raisons, le dialogue entre les diverses communautés de croyants et cultures en Europe est essentiel. Un tel dialogue ne doit pas se perdre en généralités, mais avoir pour objectif d’élaborer de nouvelles manières de vivre et de travailler côte à côte, ainsi que de nouveaux moyens d’établir paix et justice.



2. De nouvelles possibilités

Pour dépasser les néfastes effets de cette culture européenne et leurs conséquences au niveau mondial, nous avons besoin d’un profond changement. Deux questions sont particulièrement importantes. Quelle mentalité anime les relations humaines ? Et comment passer d’un esprit de compétition à un esprit de coopération ?

Le théologien de la libération et syndicaliste brésilien Frei Betto, comme Ernest Bloch et Antonio Gramsci avant lui, pense que le socialisme de type soviétique qui se présentait comme une alternative au système, se concentrait trop exclusivement sur la volonté et la raison humaine. Il n’avait pas vu que l’être humain a des émotions, aime la beauté et souhaite se transcender, se porter au-delà de soi-même ainsi que de son monde. Philosophiquement, on parle ici d’esthétique ou de religion, théologiquement de spiritualité. Si nous négligeons cette dimension chez les gens, particulièrement dans la culture à forte connotation masculine, alors le capitalisme tente de remplir ce vide par des illusions et différentes choses en réalité tout à fait insatisfaisantes.

En opposition à la religion du marché, à l’obsession de posséder et de paraître, suivant en cela la ligne de pensée de Frei Betto, nous pouvons affirmer que nos conceptions alternatives sont sources d’inspiration. Travailler ensemble à donner un contenu à ces visions est à la fois un défi et un plaisir. Travail et célébration doivent s’équilibrer. Nous n’avons pas à nous exténuer dans la lutte, ni à susciter une dépression collective. Une nouvelle culture de soutien mutuel nous aide, en dépit de nos regrettables insuffisances, à trouver l’énergie personnelle et communautaire pour résister et développer nos alliances et solidarités. L’histoire de la résistance humaine nous aide à ne pas perdre espoir même en cas d’échec.

Mais cette nouvelle culture de soutien mutuel ne peut tomber du ciel. Elle se développe à partir d’expériences de coopération et de résistance vécues en communauté, et ce malgré les conflits d’intérêt.
On voudrait ici citer quelques exemples de dialogues, de rassemblements ou de mises en réseaux récents :

- la coopération, en Amérique latine, entre des communautés de base, des secteurs des églises institutionnelles, des syndicats, des mouvements et des religions populaires tous animés par la théologie de la libération ;

- les tentatives de coalition Zapatiste qui sont parties du Chiapas au Mexique ;

- le mouvement de protestation sociale en France depuis 1996 ;

- les efforts pour former une opposition extra-parlementaire en Allemagne, suite à la Déclaration d’Erfurt en 1997 ;

- le mouvement des églises, fournissant asile aux réfugiés et sans-papiers ;

- le mouvement des  « Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions » qui a commencé avec le sommet européen d’Amsterdam en 1997 ;

- le Collège européen des Femmes de Zürich qui, entre autres, s’efforce de développer un réseau intensif et un processus de communication entre femmes de l’Est et femmes de l’Ouest ;

Dans la deuxième partie de ce document nous proposons un exemple de réflexion théologique autocritique sur l’histoire et la situation des Eglises dans le contexte actuel. Ceci devrait aider à renforcer leur capacité à nouer des alliances.

Dans la même optique, nous demandons aux communautés de croyants, mouvements des droits humains, syndicats, mouvements sociaux, de paix et écologiques, organisations de femmes, regroupements régionaux de l’Est, du Nord et du Sud de l’Europe et aussi des autres continents, de partager avec nous leurs perceptions des questions examinées ici. Ecrivez-nous s’il vous plaît votre évolution, vos réflexions et propositions d’action. Toutes ces contributions seront rassemblées et publiées en supplément à ce document en 1999. Elles devraient stimuler un vaste échange d’expériences et un engagement politique dans la même orientation.




IV AGIR ENSEMBLE

Après certains efforts réalisés dans les années 50 par les Etats pour domestiquer le capitalisme, il semblerait que, depuis les années 80, le néolibéralisme nous ait exposés sans recours aux pouvoirs du capitalisme mondial. Et ce d’autant plus que l’introduction des nouvelles technologies a affaibli le mouvement ouvrier et que l’Ouest n’a plus besoin de se soucier de la compétition avec une alternative socialiste.

Mais cette conclusion est fausse. Elle néglige deux choses :

- l’histoire de la résistance en Europe et dans le monde
- le fait que le système actuel suscite des crises croissantes et qu’il ne pourra durer tel quel.

C’est un mythe qu’il n’y aurait pas d’alternative au néolibéralisme. Le système actuel est en fait celui qui est vécu et voulu par l’Union européenne et ses Etats membres, les USA, le Japon et les élites d’autres pays.
Ce n’est pas une fatalité. Ce mythe a contribué largement à la méfiance à l’égard des politiques. Il a restreint la liberté des peuples.
Ce système peut être changé.

Nous vous invitons à considérer les possibilités suivantes de sortie de la situation actuelle.

1. Discerner et dénoncer

En ayant pour objectif de nous libérer et de prendre un nouveau départ, nous pouvons discerner et dénoncer les contraintes du passé (fautes, méprises, structures sclérosées) qui entravent notre liberté, reconnaître les nouvelles erreurs que nous commettons à cause de cela, et en quoi nous renforçons le système actuel.

Cette acceptation de notre passé peut et doit prendre place à tous niveaux, local, national, européen, et non le moindre au niveau mondial. Pour cela, nous devons travailler ensemble avec des groupes engagés sur tous les continents.


- Qui sont les victimes de violences passées mais présentes,- d’injustices individuelles et structurelles, de pollutions ?

- Qui sont les victimes autour de nous : enfants, femmes, travailleurs, agriculteurs, chômeurs, sans domicile, personnes endettées, réfugiés ?

- Quelles sont les victimes vivant au loin (Nord/Sud/ Est/Ouest) ?

Ecouter les souffrances des victimes, entendre la vérité de leur vécu, leur donner un espace pour dire publiquement leur vécu est le commencement d’un processus de guérison. Ceci ne peut « réparer » l’injustice subie, mais peut ouvrir un chemin vers une nouvelle justice. De la sorte, le processus de réconciliation peut commencer.

Les excuses de Bill Clinton aux nations africaines, durant son voyage en mars 98, à propos de la traite des esclaves auraient pu être un pas dans la bonne direction, s’il n’avait en même temps, durant le même voyage, insisté sur la nécessité de développer « le commerce, plutôt que l’aide ». En effet, par cette déclaration, il renforçait la dépendance économique de l’Afrique à l’égard des acteurs économiques mondiaux. Nelson Mandela a compris immédiatement cet aspect des choses et le lui a signifié.

Quelques reconnaissances sincères et individuelles de culpabilité auraient une valeur symbolique importante. Une reconnaissance de culpabilité par complicité, en provenance des Eglises et autres membres influents de la société en Europe pourrait avoir un impact public significatif. Ceci pourrait mener à un dialogue réconciliateur entre toutes les parties.



2. Refuser

Nous pouvons refuser de prendre part aux structures que nous avons identifiées comme violentes et injustes envers les gens et l’environnement. Nous pouvons rejeter l’esprit, la logique et la pratique de l’accumulation capitaliste dérégulée des avoirs financiers appuyée par la militarisation.

Savoir dire non à l’accumulation de l’argent sous toutes ses formes dans des rassemblements les plus larges possibles est le commencement de toute résistance. En pratique, cela signifie dire non à la dérégulation des marchés de capitaux qui a pour seul but en fait l’accumulation des richesses sans aucun engagement social, démocratique et écologique. Dire non aux plus-values gagnées grâce à la spéculation. Certains d’entre nous disent non déjà et développent des systèmes monétaires alternatifs.
Il faut dire non à la spéculation monétaire. Dire non à un système monétaire qui s’est découplé de toute création équitable d’emploi et de toute justice dans le commerce international. Dire non à un ordre international de la finance, contrôlé par les riches dans leur intérêt et qui favorise l’évasion et le dumping fiscal. En pratique, nous pouvons boycotter de telles banques commerciales qui ont des succursales ou des partenaires dans les paradis fiscaux. Nous appelons en même temps les syndicats, Eglises et institutions publiques à faire de même.

Cependant, c’est de plus en plus une déclaration toute théorique face à la répartition actuelle de la propriété et à la possibilité de réaliser des profits non-taxés sur les marchés transnationaux. Dès lors, nous pouvons nous regrouper pour déclarer que le système de propriété absolue et sans limite est illégal. Nous pouvons demander des rapports sur les richesses comme il s’en fait sur la pauvreté pour mettre en discussion publique ce scandale d’une répartition injuste entre citoyens. Nous pouvons aussi dénoncer publiquement la concentration croissante du pouvoir économique dans les mains de quelques sociétés et banques, comme le font les « Religieux pour la Paix » avec leur tour de garde hebdomadaire devant la Deutsche Bank à Francfort, et ceux qui organisent d’autres actions directes non-violentes.






Nous appelons toutes les personnes et organisations préoccupées de telles injustices structurelles à ne pas seulement condamner les conséquences du système actuel, mais aussi à dire clairement non aux principes sous-jacents du système mondial actuel. Dire non aussi aux politiques inféodées à ce système qui sont menées dans leur pays, dans l’Union Européenne et dans les organisations internationales sur lesquelles le G7 exerce un contrôle tel que le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC et l’OCDE (AMI). Ceci signifie que nous devons dire non aux partis politiques qui appuient ces politiques néolibérales. En lien avec tout ceci, un débat très large sur la spiritualité de la résistance et les formes de désobéissance civile est requis de toute urgence.


3. De nouvelles visions.

Nous pouvons développer une nouvelle conception économique qui serait parfaitement intégrée au contexte social et écologique.


- l’option préférentielle pour les pauvres

- l’option préférentielle pour la non-violence et

- l’option préférentielle pour une vie risquée

Cette orientation offre un changement radical de perspective


Nous proposons dès lors une stratégie double pour des alternatives de développement :

- des initiatives locales à petite échelle qui permettent d’être partiellement indépendants des marchés mondiaux et

- la construction de réseaux et de rassemblements actifs politiquement pour « dompter » le système.


4. Des alternatives à petite échelle

Nous sommes capables de réaliser des conceptions vitales dans nos domaines d’activité.

Par le biais d’alternatives à petite échelle sur notre terrain d’action nous sommes à même de donner corps à des visions nouvelles.

Grâce à cette manière de faire, l’économie domestique invisible prend une importance fondamentale, ainsi que les économies locales ou celles de petites régions . Par ces initiatives, un découplage partiel des diktats des marchés mondiaux est possible. Nous recommandons sur ce sujet le manuel international de renforcement de l’économie locale (cfr dans la bibliographie infra Richard Douthwaite (1996)).

Il relève différentes possibilités :

- les monnaies locales et systèmes d’échanges de services ou LETS (Local Exchange and Trading Schemes) qui n’utilisent pas de monnaie, les unions de crédit

- le recours à des banques alternatives ( qui se sont regroupées en Europe dans l’INAISE). Du côté des Eglises, il y a la Société oecuménique de Développement coopératif (EDCS).

- au niveau des communautés locales, le développement de l’autosuffisance par le recours aux énergies alternatives (vent, soleil, eau et biomasse).

- au niveau régional, le développement de l’auto-suffisance en ce qui concerne les besoins fondamentaux, notamment l’alimentation de base, par l’achat principalement dans des fermes biologiques, des coopératives producteur-consommateur, un partenariat ville-campagne ...La priorité est de développer une économie agricole respectueuse de l’environnement, fonctionnant en circuit fermé . Les artisans ainsi que les petites sociétés à préoccupation sociale et écologique sont valorisées par cette approche et doivent être considérés comme des partenaires privilégiés.
Quelques-unes de ces préoccupations sont regroupées dans les initiatives réunies par l’Agenda 21 pour l’Europe et les autres continents (Chapitre 28 de l’Agenda 21 de la Conférence de Rio pour l’environnement et le développement, 1992). Celui-ci constitue un bon point de départ pour la formation d’alliances et le développement d’un dialogue critique entre les différents acteurs de la société civile.L’activité économique alternative peut aussi se pratiquer au-delà de la sphère locale. Le moyen le mieux connu est celui des campagnes pour un « commerce équitable », où des salaires corrects sont payés aux producteurs ou aux travailleurs. Ces initiatives « commercialement juste » démontrent que nous avons, en tant que consommateurs, une capacité de contre-pouvoir. Nous pouvons également prendre part aux boycotts des sociétés transnationales qui violent les clauses sociales et écologiques de manière particulièrement flagrante. Des exemples bien connus de telles campagnes ont été celles menées contre Nestlé, Shell et Siemens. A l’opposé, nous pouvons donner nos préférences à des sociétés qui respectent ces clauses sociales et écologiques.Un domaine-clé est aussi celui de la communication. Des groupes coordonnés à partir de la Hollande ont lancé une initiative pour une communication ouverte et honnête. Elle s’intitule « People’s Communication Charter »(Charte de la Communication populaire).Les ordinateurs, courriers électroniques et réseau internet ont bien sûr été développés au départ, à des fins militaires et commerciales. L’usage massif de l’électronique est écologiquement très dommageable vu les problèmes de recyclage des déchets.Pourtant, ces technologies, particulièrement le courrier électronique, peuvent être utilisés en vue de l’élaboration d’un contre-pouvoir. Un exemple particulièrement réussi est celui des actions électroniquement coordonnées des mouvements de chômeurs en France. Au niveau international aussi, la communication entre mouvements par e-mail et Internet est moins chère et peut être plus efficace. Elle peut même permettre une meilleure participation, y compris des plus pauvres, si ceux-ci arrivent à organiser collectivement leur accès à l’ordinateur. Mais une certaine prudence reste de mise en la matière. Priorité en tout cas, doit rester au contact direct entre les personnes.Nous pouvons aussi atteindre davantage d’autonomie en matière d’enseignement. L’enseignement reste souvent encore très centralisé. Il vise toujours principalement à donner une formation professionnelle et attache une importance toute particulière aux réussites académiques (diplômes) au détriment des qualifications acquises sur le terrain. La scolarisation pourrait pourtant fournir d’excellentes occasions de développer une éducation qui s’adresse à toute la personne, comme on le fait dans certaines écoles d’Irlande du Nord (éducation « intégrée »).Elle devrait inclure des aspects de techniques de groupes et d’éducation politique, une connaissance des autres cultures, croyances et groupes minoritaires, le développement des capacités de prises de décision, ainsi que les capacités critiques nécessaires à la compréhension de documents. Une telle éducation devrait mettre l’accent sur la coopération plus que sur la compétition et donner une place centrale aux questions qui regardent l’avenir. On pourrait tabler sur des orientations pédagogiques en matière formation continue, chose qui n’a été qu’insuffisamment développées jusqu’ici. Il faudra veiller à ce que les défavorisés, les illettrés et les exclus participent à ce progrès culturel ne subissent pas une nouvelle forme d’exclusion. De telles « promotions sociales » obtenues grâce à des formations renouvelées épargneraient de multiples formes de violence. Dans le domaine de la paix , il y a aussi beaucoup de possibilités d’alternatives à petite échelle. Là où les conflits locaux dégénèrent en violence, nous pouvons avoir recours à la gestion non-violente des conflits et amorcer des processus de réconciliation. A l’intérieur du processus « Pour la Justice, la Paix et la sauvegarde de la Création », des initiatives pratiques ont été organisées. Elles sont à l’origine des services pour la paix. Dans certaines circonstances, ces services civils pour la paix peuvent pallier des interventions armées, réduire ou même remplacer la violence intra-étatique. Un « impôt spécial pour la paix » réalisé sur base volontaire devrait être introduit dans les pays européens, permettant à chaque citoyen de poser un geste public en faveur d’une société non-violente où l’objection de conscience et la résolution des conflits par la médiation et d’autres moyens pacifiques joueraient un rôle important.Dans tous ces domaines, il y a d’importantes occasions d’agir pour les Eglises, communautés de croyants et syndicats qui contrôlent de grandes sommes d’argent. Ils pourraient commencer par investir cet argent selon des critères économiques, sociaux et écologiques alternatifs. Dans leurs sphères respectives, ils peuvent répartir travail et revenu de manière plus juste. Ils peuvent poursuivre des objectifs écologiques. Ils peuvent devenir des centres de contre-information dans un environnement mensonger. Les groupes de base, communautés alternatives et coopératives sont particulièrement efficaces au niveau local. En poursuivant des objectifs précis, ils peuvent eux-mêmes commencer à réaliser une nouvelle société : susciter de nouveaux modèles de relations entre hommes, femmes et enfants ; intégrer les exclus; apprendre à se regarder avec les yeux d’autres religions et cultures; partager ; résoudre des conflits sans recourir à la violence ; coopérer et non se faire concurrence ; considérer les personnes selon leurs talents et non les cataloguer selon leur productivité. En bref, mettre les personnes et la totalité de leurs besoins au centre, valoriser les personnes en rapport avec le groupe plutôt que développer la compétition individuelle.Les initiatives à petite échelle ne doivent pas être prises bien sûr pour L’alternative. Elles sont limitées dans leurs ambitions. Elles partagent aussi les ambiguïtés du macro-système. Par exemple, les banques alternatives sont légalement obligées de déposer une part de leur capital comme garantie du système monétaire global. Ou encore, les populations d’une région veulent naturellement avoir des échanges économiques avec d’autres régions. Mais elles devraient le faire dans un contexte d’indépendance relative et dans les domaines qu’elles choisissent elles-mêmes parce qu’elles y sont plus fortes, et non parce qu’elles y sont forcées par des monopoles économiques, et donc à leur désavantage.Si cependant les macro-systèmes doivent être au service des personnes et non l’inverse, ils doivent être régulés démocratiquement selon des clauses sociales et écologiques. Lutter dans ce sens renvoie à la seconde partie tout à fait essentielle de la stratégie double. 5. L’engagement politiqueNous pouvons nous engager de manière politique en construisant des alliances pour une Europe centrée sur le social, la vie et la démocratie. Déjà au niveau local, des rassemblements sont nécessaires pour exiger et développer, par l’action politique, une économie décentralisée, des politiques sociales, la justice et l’action écologique dans les relations Nord-Sud. A côté des groupes d’entraide ou des services d’assistance, les Eglises et communautés paroissiales, syndicats, hommes politiques et industriels présents au niveau local font déjà un travail remarquable. Kairos Europe a commencé de créer un réseau avec de telles alliances locales. Une coalition importante est celle créé lors du Deuxième Rassemblement oecuménique européen de Graz en 1997. Elle relie le Processus oecuménique pour la Justice, la Paix et la Sauvegarde de la Création avec l’Agenda local 21.Il est évident pourtant que le travail cantonné à ce seul niveau reste insuffisant, vu la mondialisation des problèmes (finance, économie et médias).Les grandes orientations ne se prennent plus à l’échelon national. Il est donc nécessaire de lier les efforts politiques au niveau national à des efforts parallèles au niveau européen et mondial.Quels sont les domaines-clés des politiques alternatives et pour lesquels la société civile devrait à tout prix élaborer un consensus et préparer des plans d’action ? Pour se libérer de l’emprise de l’économie et de la finance dérégulée mondialement, notre premier objectif doit être de nouvelles politiques financières, économiques et fiscales.A l’heure actuelle, la principale charge des impôts repose sur le travail, alors que l’argent, la propriété ou la consommation d’énergie ou de ressources naturelles sont faiblement taxées. Cela devrait être exactement l’inverse. Des changements ne sont pas possibles sauf si sont prises au niveau des institutions internationales, un ensemble de mesures de re-régulation du capital transnational dans un but démocratique, social et écologique .Ceci doit être le point de départ d’une campagne politique. Sans de telles mesures nous ne pouvons envisager , au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, aucune amélioration de l’emploi ou des politiques sociales, ni approche nouvelle des questions écologiques; le nombre des réfugiés et immigrés restera croissant et les conditions pour faire régner la paix, continueront à faire défaut. A plus long terme, nous devons nous poser la question fondamentale de la compatibilité entre la paix, la survie de l’humanité et de la planète et d’autre part une économie capitaliste centrée essentiellement sur l’accumulation d’une richesse monétaire.Dès lors, nous voulons développer une campagne qui exige des changements dans des domaines politiques décisifs : Impôt, finance et économie - le lien à établir entre politique monétaire et politique sociale et pour l’emploi ;- le développement d’indicateurs économiques alternatifs, qui tiennent compte de la pollution, de la consommation des ressources naturelles, autant que de la qualité des emplois créés, de sorte que le concept de réussite économique puisse être redéfini ;- une limite à la propriété privée des terres et du capital ;- un impôt approprié sur les fortunes ;- une retenue à la source sur les profits réalisés sur capitaux, harmonisée au travers de l’UE, destinée à mettre fin au dumping et à la fraude fiscale, toutes choses qui mettent en compétition les gouvernements les uns avec les autres ;

- la suppression des paradis fiscaux qui contribuent au déséquilibre des budgets publics ;

- l’annulation de la dette des pays du Sud, en fait appauvris par le Nord ;

- une taxe mondiale sur les transactions spéculatives (taxe Tobin) ;

- une taxation progressive sur les ressources naturelles et les sources d’énergie non-renouvelables ;

- un réexamen des Accords Multilatéraux sur les Investissements (AMI), permettant de donner aux gouvernements le droit d’imposer des clauses sociales et écologiques sur les investissements et d’encourager ainsi l’investissement local par des initiatives qui profitent aux populations locales ;

- l’établissement de paramètres sociaux et écologiques pour le commerce mondial ;

- la démocratisation de l’économie, allant de prises de décisions communes et du développement de productions coopératives, jusqu'à la réforme d’institutions internationales à faire contrôler par les Nations-Unies : FMI, Banque Mondiale... ;

- le développement d’un système juridique international pour la réglementation des questions financières et économiques, élargissant les compétences de la Cour Internationale de Justice (La Haye) à des questions socio-économiques ;

- une forte réduction du nombre d’heures de travail ( à adapter par région ), pour aider à réduire le chômage. Les pertes de revenus devraient être compensées suivant la progression des salaires, avec l’aide éventuellement de subsides publics. Le temps ainsi « libéré » devrait être utilisé à des fins sociales et permettre de poursuivre des formations professionnelles ou de la formation continue ;

- un arrêt de la régression en ce qui concerne la protection sociale des femmes, à l’occasion des grossesses, des naissances, des congés pour raisons familiales ou personnelles ;

- l’introduction ou le maintien d’une protection économique valable pour chacun, empêchant qu’un nombre croissant de personnes ne tombent dans la pauvreté, la misère ou l’exclusion ;

- l’établissement d’un lien entre les charges sociales à payer par l’employeur et les profits réalisés, et non plus lié aux salaires et au nombre de personnes employées ;

- une initiative exceptionnelle de solidarité à payer par les plus grosses fortunes en faveur d’un « Fonds spécial de suppression du chômage de masse », en particulier pour créer des emplois indispensables à notre société mais qui ne sont pas dans domaines rentables (non-marchand ou de proximité) ;

- la fin des coupes dans les budgets de santé et de l’éducation ou dans les services d’intérêt général (postes, transports publics...) et la création de réseaux de services européens ;

- la redémocratisation des médias.



- prendre de réelles décisions en rapport avec les conclusions de la Conférence de Rio de 1992, particulièrement en ce qui concerne les émissions de CO2 et l’usage des engrais de phosphates industriels, ainsi qu’à l’égard de l’Agenda 21 et du développement durable ;

- la promotion des économies d’énergie et de la production d’énergies renouvelables ;

- le développement d’une économie et technologie socialement et écologiquement soutenables ;

- la fin de la production d’énergie nucléaire ;

- le rejet strict de toute interférence génétique dans le génôme humain ;

- la réglementation au niveau mondial du brevetage et de l’usage des semences génétiquement manipulées dans le but de protéger la biodiversité et la liberté ainsi que le bien-être des petits agriculteurs ;
- des politiques qui encouragent les petits agriculteurs et le type d’agriculture qui respecte la terre et les animaux.


- s’attaquer aux causes des migrations forcées, qui sont principalement sociales et économiques, plutôt que de s’en prendre aux immigrés et aux réfugiés eux-mêmes ;

- une directive de l’Union Européenne contre les discriminations raciales et religieuses ;

- un accueil humain pour les demandeurs d’asile ;


- des stratégies intégrées non-violentes de résolution des conflits au lieu de dépenses supplémentaires pour la défense et pour les forces d’intervention militarisées ;

- faire revivre le consensus anti-fasciste qui existait après la Deuxième Guerre mondiale d’où les Nations-Unies sont nées, particulièrement en raison des dérives vers la droite présentes dans la politique de nombreux Etats européens ;

- une pression pour un renforcement de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) à considérer comme le fer de lance d’une coopération globale au niveau politique, économique, social, culturel et écologique.

Tout ce qui a été évoqué ici, sont autant de possibilités pour travailler ensemble à un changement de cap en Europe.
Personne ne peut tout faire. Mais tout groupe, tout rassemblement ou réseau est un nouveau pas dans la direction d’un Europe nouvelle.


V LES PROCHAINES ETAPES DU PROCESSUS


Ce texte doit donc être pris comme un appel à la discussion. Nous invitons les groupes de base, organisations, paroisses, communautés de croyants, syndicats à examiner les questions et propositions présentées ici à partir des faits dont ils sont témoins et à partir de leur propre perspective, à rassembler le vécu des gens et des descriptions d’expériences d’alternatives. De tels récits pourraient décrire comment le néolibéralisme vous a touché et comment vous y avez réagi.




-Les sommets alternatifs aux sommets semestriels des chefs de gouvernement de l’Union européenne de juin et décembre qui feront suite aux contre-sommets et aux marches européennes de juin 97

- le suivi des initiatives prises à la suite de la Seconde Assemblée Oecuménique Européenne de Graz (1997)

- « Le processus confessionis », ayant rapport avec l’économie mondiale (Alliance Mondiale des Eglises Réformées, Genève) et le Programme anti-Mammon (Alliance Réformée, Allemagne)

- Les agendas locaux 21

- Les différentes initiatives à l’occasion du Millenium comme « Jubilé 2000 »

- Le Forum permanent de la société civile (Bruxelles)

- Le Collège des Femmes Européennes (Zürich)

- Le « World Meeting against Neoliberalism »

- Le processus « Mondialisation, mouvements sociaux, exclusion » (Conseil Mondial des Eglises, Genève)





L’ensemble de ce processus devrait servir à la construction réelle d’un mouvement. La force de ce mouvement et son aptitude à produire un changement social constructif, décidera de la possibilité de libérer l’Europe du néolibéralisme sous ses différentes formes. En partenariat avec les mouvements sociaux des autres continents, il permettra d’éviter le désastre qui a déjà submergé les deux tiers de l’humanité. Des alternatives sont possibles. Une Europe de la justice, de la paix et de la conscience écologique ne doit pas forcément rester un rêve utopique, à condition que, partout sur le continent ce rêve puisse réunir et inspirer des gens lucides et motivés.










































DEUXIEME PARTIE


I. Un exemple de réflexion critique pouvant améliorer nos capacités à former des rassemblements et réseaux :
Les Eglises chrétiennes

1. Les fondements bibliques des Eglises chrétiennes

En général, les organisations, mouvements et spécialement les communautés de croyant disposent d’un ensemble de références qui, durant leurs périodes « primitives » ont été mises par écrit. En témoignent la Bible hébraïque
pour le peuple juif (appelée plus tard « l’ancien Testament » par les chrétiens), les écrits des communautés messianiques des premiers chrétiens (appelés ensuite « le Nouveau testament »), le Coran, et également
le Manifeste du Parti Communiste et les écrits de Karl Marx... Des groupes, des communautés se rémémorent constamment leurs contenus. Ceux-ci ont vu le jour dans des contextes socio-historiques précis, mais de plus doivent être réinterprétés à chaque époque. C’est la raison pour laquelle ils peuvent être mal interprétés. Ceci est également vrai de la Bible.

Souvent en cas de conflits, certains appuient leurs positions par des versets bibliques sortis de leur contexte. Grâce à la théologie de la libération et de l’interprétation socio-historique de la Bible, il est maintenant évident que tous les textes bibliques se situent dans un contexte social, économique, politique et idéologique précis et doivent être compris sous cet éclairage.

La lecture des traditions bibliques, qui s’étendent sur un millénaire ( de 1250 jusqu'à 120 ap JC ) mène à y reconnaître un fil conducteur . Le peuple d’Israël, et ensuite les communautés du Messie juif Jésus se considèrent comme libérées par Dieu et appelées à vivre et témoigner d’une alternative parmi les nations environnantes. Le contexte est celui de l’ancien Proche-Orient et de l’empire gréco-romain. La Bible décrit ces société de royaumes urbains et des grands empires comme des sociétés qui, économiquement, utilisaient des esclaves, politiquement étaient avides de conquêtes et forçaient les autres nations au paiement de tributs, culturellement étaient des sociétés où la violence étaient habituelle.

Par opposition, le message biblique est celui d’un Dieu qui écoute les cris des esclaves opprimés, voit leur misère et les libère de l’oppression des Egyptiens (Exode 3ss). Les esclaves libérés s’installent sur les montagnes de Palestine et forment une société villageoise solidaire. Ils comprennent leur mission comme celle de « travailler la terre et de prendre soin d’elle » (Genèse 2,15)

Quand plus tard des familles enrichies introduisent la monarchie, en dépit de l’opposition des petits agriculteurs ( cfr Juges 9 et 1 Samuel 8), l’option fondamentale alternative se retrouve présente à nouveau au sommet de la société grâce aux prophètes, qui critiquent ceux qui sont au pouvoir. (cfr en particulier 1 Rois 21ss sur Elie et les livres des prophètes Amos, Isaïe, Michée, Osée et Jérémie). Leurs grands thèmes sont la justice, la paix (shalom) et les relations à établir entre personnes, nations, et aussi entre humains et autres créatures (Osée 2, 20-24). Celles-ci doivent exprimer la relation d’Alliance des gens avec le Dieu de justice, de paix et d’amour pour toutes les autres créatures (Psaume 8 et 104).

Après la chute des Royaumes (722 av JC pour le Nord/ 586 av JC pour la Judée), différents initiatives importantes vont être consacrées visant à donner à Israël des lois qui instaure un Etat juste (ainsi la journée annuelle et nationale de Réconciliation, l’année sabbatique de repos de la terre, l’année jubilaire de libération des esclaves, de la suppression des dettes et de la répartition égalitaire des moyens de production ( Lévitique 16 et 25).

Quand finalement les empires hellénistes et romains devinrent totalitaires (Daniel 2, 3, 7), les Israélites se sont mis à résister, dans l’espoir d’une nouvelle société à visage humain (le royaume de Dieu). Ils ont dit non à l’hégémonie du pouvoir absolu et de la richesse (Daniel 3). Ils se sont tournés vers des alternatives à petite échelle comme les communautés d’Esséniens dans le désert près de la Mer Morte ou comme Jésus vivant au sein de la société parmi les pauvres. Les petits groupes de premiers chrétiens ont été comme les semences des communautés messianiques qui ensuite, se sont répandues au travers de tout l’Empire Romain et même au-delà (Marc 10, 42-45). Pour Jésus, elles constituaient déjà les vrais signes du Royaume de Dieu. L’apôtre Paul les voyait comme le commencement d’une nouvelle humanité (Romains 5) au milieu d’un ordre mondial caractérisé par l’injustice et l’incroyance (Romains 1, 18). « Toute la création et les enfants de Dieu espère la libération, car elle expérimente la souffrance du travail de la nouvelle création » au milieu de la violence actuelle (Romains 8, 18-25). Dans sa lettre aux Galates, Paul résume les principes de base de cette société fondée sur un Dieu d’amour , de justice et de solidarité par cette phrase : « Il n’y a plus ni juif, ni grec ; ni esclave, ni homme libre ; ni homme, ni femme ; car tous vous n’êtes plus qu’un dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28)

Cette concrétisation politique et économique de l’amour du prochain, présente au cœur des conflits du peuple d’Israël, avec les autres nations mais aussi de manière interne, trouve sa source dans une expérience bouleversante de Dieu. Celle-ci va au-delà des dimensions socio-économiques et politiques et comprend tous les aspects de la vie humaine ; de la vie personnelle ou intérieure, familiale au sens restreint ou plus large, d’une vie de relation ouverte sur le voisinage, la région, la nation, le monde, l’univers entier. Ces quelques pages ne peuvent que l’ébaucher, et encore ce Document Kairos ne développe-t-il principalement que l’aspect social.
Par ailleurs, chaque société est comme façonnée par Dieu, son Esprit, qui soutient tout ce qui y vit et s’y développe, structures et institutions.


2. quand des théologies soumises à la logique d’Etat et du capital justifient l’injustice, la non-paix et
la destruction de l’environnement.

Le Document Kairos pour l’Afrique du Sud a mis en évidence le fait qu’à l’intérieur des Eglises, le courant prophétique et critique n’est pas le seul à être présent et à s’exprimer officiellement.
Il existe des groupes, des Eglises entières, qui soutiennent activement des politiques et des systèmes économiques injustes, ou qui jettent un voile sur l’injustice dans de tels systèmes, et donc les soutiennent indirectement (voir §3 plus bas).
Le soutien au système d’Apartheid par l’Eglise Réformée Hollandaise en Afrique du Sud a été un exemple d’un tel support actif, comme le fut celui donné au régime nazi par les « Chrétiens allemands », une branche particulière de l’Eglise protestante d’Allemagne et d’autres groupes national-socialistes.
Des exemples semblables en Europe de l’Est sont le fait de ces dirigeants d’Eglises qui s’étaient faits les amis des dictateurs. Ils bénissaient les fusées du Pacte de Varsovie et condamnaient les objecteurs de conscience. Maintenant, ils donnent leur bénédiction à l’OTAN. C’est ce qu’on appelle « le travail pour la paix » dans la théologie officielle.

Comment ces aberrations de la théologie d’Etat sont-elles possibles, vu le clair fil conducteur de la Bible ?
D’abord, parce que l’on sort les passages de la Bible de leur contexte. Ainsi, la parabole des talents (Matthieu 25,14), une fois sortie de son contexte, est parfois présentée comme un encouragement à pratiquer les taux d’intérêts les plus élevés possibles - ce qui est contraire à l’interdit de l’usure présent tout au long de la Bible ! Deuxièmement, il y a par exemple dans la Bible des passages remontant au temps du Royaume d’Israël qui rendent légitime l’exercice du pouvoir absolu par les monarques (au temps de Saul, David et Salomon environ 1000 av JC). Bien que, par la suite, ces royaumes fussent considérés de manière très critique par les prophètes et, après la chute de ces royaumes du Nord et du Sud, par presque tous les groupes sociaux en Israël et Juda, sans parler de Jésus lui-même (Marc 10, 42-45), les « théologies d’Etat » légitiment le pouvoir en soi sur base de ces mêmes textes.
La même chose est encore vraie pour le passage de l’Epitre aux Romains (13, 1-7) qui parle de l’obéissance aux autorités et est généralement isolé de son contexte.

En Europe aujourd’hui, il n’y a guère d’Eglises qui, ouvertement et activement, soient en faveur d’une domination totale du marché capitaliste et du soutien idéologique et politique néolibéral qui l’accompagne.
Il existe cependant un phénomène en Europe auquel nous avons certes fini par nous habituer, mais qu’il est urgent de mettre en question : à savoir que des partis politiques se nomment eux-mêmes « chrétiens ». Sous leur forme actuelle, ils sont nés après la Deuxième Guerre mondiale et s’inspiraient de l’enseignement social de l’Eglise catholique. Pour les chrétiens issus de la Réforme, cela aurait dû être problématique dès le début, du fait
que le nom du Christ soit associé à des groupes qui détiennent un pouvoir politique, de la même manière que Luther a rejeté pour des raisons bibliques cette manière de faire qui avait été utilisée par l’Eglise impériale médiévale.
Mis à part cette difficulté originelle, il y a actuellement un problème urgent à régler.

Prenons l’Allemagne comme exemple. Dans ce pays, une coalition de l’Union démocrate « chrétienne » (CDU)/ Union sociale «chrétienne » (CSU) gouverne avec les libéraux-démocrates (FDP). Ce dernier parti a opté pour le marché sans restrictions et les bénéfices au profit des plus hauts revenus. Il constitue le fer de lance du néolibéralisme en Allemagne. La majorité de la CDU/CSU s’est pleinement alignée sur cette politique néolibérale et l’impose sans réserves, de concert avec le FDP, sous une appellation de politique « chrétienne ».
Il y a néanmoins des minorités dans ce parti, dans des comités de travailleurs qui se préoccupent de questions sociales et qui ne partagent pas ces options.
Derrière l’existence de partis chrétiens agissant ainsi se trouve présente la conception d’une « théologie d’Etat liée au capitalisme ». Ceci représente la « fausse église », un concept que Dietrich Bonhoeffer appliquait à ces groupes des Eglises allemandes qui soutenaient activement le régime nazi et ont persécuté, entre autres, la vraie Eglise, l’Eglise confessante.

Ainsi, dans leur déclaration commune récente, les Eglises allemandes rejettent « une pure économie de marché » ; ce faisant, elles s’attaquent aux conséquences et pas aux causes. Elles sont silencieuses sur le fait que précisément une telle politique, sous le nom de « chrétienne » est réalisée en Allemagne par le parti Chrétien Démocrate. La raison apparente de ce silence semblerait être d’éviter des conflits avec les pouvoirs économiques et politiques.en place. Tous les pays d’Europe n’ont pas de partis dont le nom soit explicitement « chrétien », mais néanmoins se pose la question de savoir si les Eglises chrétiennes supportent le néolibéralisme.

Nous appelons les Eglises d’Europe à déclarer qu’appeler des politiques néolibérales du nom de chrétien, c’est déshonorer le nom du Christ, et porte atteinte en profondeur à la crédibilité des Eglises et au message chrétien de « bonne nouvelle pour les pauvres » (Luc 4,18).


3. réconciliation fictive sur base d’ecclésiologie

Le document Kairos pour l’Afrique du Sud indique le point faible le plus répandu de bon nombre d’Eglises :
une réconciliation à bon marché sans vérité ou justice. Se mettant en soi-disant position de neutralité, les Eglises tentent de faire des déclarations équilibrées, s’efforçant de ne favoriser aucun des deux camps. Ou alors elles restent silencieuses dans la mesure où un risque existe d’affrontement avec le pouvoir. La solidarité avec les victimes se limite souvent à des mots et ne se transforme pas en engagement concret.

Le point central est le suivant. Lesgrandes Eglises ont inclus dans leurs déclarations ce que les théologies de la libération soulignent avec insistance : la foi en Dieu présentée dans la Bible s’accompagne d’une option préférentielle pour les pauvres. Cependant les Eglises ne reconnaissent pas que cette position théologique officielle suppose un non clair aux structures néolibérales et aux politiques qui favorisent les riches. Ainsi, l’Eglise ne rejette pas en réalité le système capitaliste de marché mondialisé, d’où proviennent tant d’injustices que l’Eglise critique. Dans la déclaration conjointe des Eglises allemandes, le concept de « capitaliste » est soigneusement évité. Et même s’il devait arriver que les Eglises aient l’intention de condamner ce système capitaliste mondial,
il resterait toujours à nommer les partis et les gouvernements qui portent le drapeau des politiques néolibérales. Certes, la plupart des partis politiques se sont adaptés aux structures du marché mondial. Néanmoins les forces qui donnent l’impulsion, peuvent être nommées et on peut interpeller les oppositions démocratiques pour qu’elles jouent pleinement leur rôle.

Pour donner un autre exemple, les Eglises disent « Oui » à une agriculture basée sur des principes écologiques écologiques ainsi qu’au développement soutenable, mais elles ne disent pas « Non » à l’agro-business. Sans un non clairement défini, la résistance ne peut pas se développer, le changement structurel continuer et le Oui aux principes écologiques est mou et inefficace.
Nous appelons les Eglises européennes à ne pas éviter le conflit avec le pouvoir et l’argent.
La réconciliation ne peut devenir réalité et se développer que sur base de vérité et de justice et, si les conflits d’intérêts sont affrontés et non évités. En particulier, elle ne peut se développer là où les mensonges, les demi-vérités et la répression sont des pratiques courantes.






4. La décision fondamentale aujourd’hui de la théologie prophétique : la vie pour tous au lieu de l’argent pour quelques-uns.

L’économie actuelle avec ses structures et ses valeurs, sert un but abstrait : l’accroissement à court terme de la richesse monétaire. L’objectif tout à fait à l’opposé de la théologie prophétique et des mouvements sociaux est celui d’une vie digne pour tous ceux qui vivent aujourd’hui ainsi que pour les générations futures
et un bon environnement. Le premier pas est de montrer de la solidarité envers toute vie mise en danger ;
les travailleurs qui combattent pour des emplois réels et stables, les chômeurs, les sans abris, les handicapés, les mères-célibataires et les jeunes sans avenir ne doivent pas être considérés comme des objets d’actions caritatives, mais comme des personnes dont les initiatives méritent le soutien de tous les secteurs des Eglises. A mesure que ces initiatives se développeront, les rassemblements iront en s’élargissant, parce que de plus en plus de groupes et de personnes dans la société sont menacés.

Il est facile de faire la sourde oreille face à la Nature ou aux générations futures. Elles ne peuvent ou ne peuvent pas encore s’organiser ! Ce sont surtout les femmes touchées par la violence ou la discrimination sociale qui font entendre leurs voix. Partout dans le monde des femmes développent des conceptions nouvelles de la vie et de la convivialité. Leur horizon n’est pas la compétition mais la coopération ; pas la carrière individuelle, mais la communauté ; elles ne calculent pas en terme de profits personnels mais en terme de relations ; elles ne parlent pas de conquêtes à faire mais de guérisons. Par leurs manières de faire, elles démontrent que c’est un mythe développé par ceux qui ont des intérêts économiques que de dire que les besoins sociaux et les objectifs écologiques sont impossibles. De telles conceptions nous aident à dépasser une attitude de complaisance, à mobiliser une résistance à l’égard de tout ce qui affaiblit une vie pleine et totale et à développer de nouvelles manières de vivre solidaires et écologiques.

En Europe aussi, un nombre croissant de mouvements soutient de telles conceptions : mouvements écologiques, mouvements sociaux et mouvements de solidarité internationale. A l’intérieur des Eglises, ce sont les groupes et réseaux du processus conciliaire « pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création ». Ils s’efforcent sur base de la redécouverte du message biblique de réaliser de telles conceptions. Il en résulte souvent des conflits avec les structures de pouvoir et de richesse.
Arrivés ici, nous appelons les Eglises à prendre clairement position, à identifier les structures et mécanismes qui détruisent la vie et à soutenir les forces qui défendent la justice.

En Afrique du Sud, Corée et Amérique Latine on a vu que les Eglises peuvent être persécutées en compagnie de ceux qui souffrent l’injustice. Mais en même temps, elles ont été soutenues par ces victimes. Une nouvelle vie s’est développée à l’intérieur des Eglises qui protégaient et aidaient ces personnes en danger. En Europe,
les Eglises perdaient probablement certains privilèges dont elles jouissent, vu leurs liens étroits avec l’Etat, les empires et ensuite avec le capitalisme. Mais pour ceux qui souffrent, elles redeviendraient un signe d’espoir.

On déplore depuis longtemps l’échec des Eglises sur la question sociale au cours du XIX° siècle. Depuis cette époque, de larges couches de la classe ouvrière ont quitté celles-ci. C’était l’époque du « capitalisme manchestérien » et du libéralisme classique, qui s’est terminée avec la « Grande Dépression » de 1929 et deux guerres mondiales. Maintenant en cette période de néolibéralisme, les Eglises font face à cette question comme si elles voulaient répéter cette erreur. Maintenant pourtant s’offre à nouveau une chance de prendre une position claire et de soutenir l’espoir de ceux qui sont en lutte. C’est le Kairos.

Souvent on objecte à cette prise de position qu’elle mettrait l’unité de l’Eglise en jeu. Au reste, dit-on, il y a un nombre croissant de groupes évangéliques et charismatiques préoccupés avant par le salut individuel.
On affirme que ces groupes se diviseraient, si les Eglises prenaient une position claire dans ces conflits d’intérêt de type économique et politique.

Les Eglises devraient clairement faire remarquer à ces groupes centrés sur l’individu et sur l’âme que cette conception n’a pas son origine dans la Bible mais dans un dualisme (corps-âme) moderne et dans l’individualisme dû au libéralisme. Par ailleurs, ces mouvements évangéliques et charismatiques sont engagés dans une recherche tout à fait spécifique de spiritualité et de communauté au sein d’une société matérialiste. Le débat sur ces questions devrait être mené au sein des communautés et des milieux où ces personnes vivent.
C’est là qu’on verra clairement l’aide à leur apporter, et la manière dont la Bible peut libérer et guérir tous les facettes de leur vie. En Amérique latine, beaucoup de groupes pentecôtistes coopèrent avec des communautés de base chrétiennes qui se réfèrent à la théologie de la libération ; ils accomplissent un réel travail d’amélioration des conditions de vie des gens.
Jésus en son temps, a lutté contre les Romains et les juifs conformistes en faveur de la justice et la paix.
En même temps, il guérissait et formait des groupes de disciples engagés au soutien mutuel et au service d’autrui.

La conception décrite ici est un défi pour l’Eglise prophétique elle-même, pour la réforme de l’institution et pour un nouveau comportement au sein des institutions. Concrètement, l’Eglise pourrait retirer son argent des grandes banques et l’investir dans des banques alternatives. Elle pourrait donner l’exemple d’une juste répartition du travail et des revenus. Elle pourrait utiliser ses terrains à des fins sociales et écologiques. En bref, elle pourrait « être un bon exemple pour les autres groupes sociaux » (Martin Luther). Même si les puissants rejettaient ces bons exemples, ou même persécutaient les Eglises, cette solidarité compatissante constituerait une identification avec l’expérience habituelle des gens pauvres, à l’image de Jésus.

L’objectif de ce processus de clarification et de réorientation des Eglises, paroisses et mouvements chrétiens ne doit pas conduire celles-ci à être en perpétuel souci d’elles-mêmes. Cette introversion est précisément la principale erreur actuelle de grandes composantes de l’Europe chrétienne. Nous n’appelons pas seulement les Eglises, suivant leurs fondements bibliques, à prendre position au côté des victimes de l’injustice économique, politique, militaire et culturelle pour donner ainsi un bon exemple. Nous les appelons, dans une Europe aux nombreuses croyances et cultures, à renforcer le dialogue avec toutes les communautés de croyants, syndicats et mouvements sociaux . La coexistence sur base égale de personnes provenant de différentes nations, cultures et religions est une part essentielle du message chrétien. C’est là, la dimension extérieure même de la communauté des croyants avec le Dieu biblique qui aime sa création.

Paul voyait dans la coexistence pacifique, à égalité entre juifs et chrétiens au sein des communautés chrétiennes,
le témoignage fondamental de celles-ci à l’égard de l’empire romain. Celui-ci reposait sur une classe dirigeante de Romains et de leurs alliés d’une part et des peuples soumis d’autre part. « La paix par la force » se trouva ainsi confrontée à une « paix basée sur une citoyenneté égale pour tous ». C’est le message de la Lettre aux Ephésiens.
Les conflits n’existent qu’avec des groupes qui abusent de la religion aux fins d’oppression ou de conquêtes économiques. Le dialogue dès lors repose sur des critères clairs. Il n’est pas naïf.
S’il est mené en accord avec les pratiques bibliques de libération et de solidarité, il est un signe vivant d’espoir pour tous ceux qui vivent à l’intérieur ou à l’extérieur de la « Forteresse Europe » dont les murs de protection hérités de l’Empire romain visent à une défense stérile et aveugle à l’égard du monde extérieur.





Cette deuxième édition du Document Kairos pour l’Europe a été recomposée en avril 98 sur base des réactions d’environ 200 groupes appartenant à divers pays du continent européen.
La version française a été réalisée par Dorothée Bauschke, Jo Bock et François Gobbe.


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Kairos Europe - c/o F.Gobbe, Clos Chapelle aux Champs 25/7 - B-1200 Bruxelles
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